Dans le paysage de la régulation pharmaceutique au Sénégal, un enjeu fondamental subsiste : la procédure dans la délivrance des Autorisations de Mise sur le Marché (Amm). Cette situation constitue régulièrement un goulot d’étranglement pour l’approvisionnement en médicaments et fragilise un secteur stratégique à la fois pour la santé publique et l’économie nationale. Pourtant, une solution existe et a fait ses preuves ailleurs : déléguer la signature des AMM à l’Agence de régulation pharmaceutique. Nous sommes depuis mars 2024 dans un contexte de renouveau des pratiques dans la gestion des affaires publiques, fait de transparence et de vertu dans la gestion. Mais cette délégation, outre son efficacité, s’inscrirait dans une vision d’efficience et de responsabilité, en harmonie avec les orientations de rigueur et de transparence prônées par les nouvelles autorités. Nous ne disposons que de sept (07) industries pharmaceutiques locales qui n’approvisionnent que 05% du marché !
Malgré les avancées institutionnelles, notamment la mutation de la Direction de la pharmacie et du médicament (Dpm) en agence et l’obtention du niveau de maturité 3 de l’Organisation mondiale de la santé (Oms), les retards dans la délivrance des AMM sont criants. En moyenne, les membres de la Société sénégalaise des agences de promotion médico-pharmaceutique (Soseap) attendent entre 18 et 24 mois pour obtenir une signature ministérielle, même après un avis favorable de la commission compétente. Ces lenteurs ont des conséquences multiples. En effet, l’approvisionnement pharmaceutique s’en trouve perturbé alors que 95 % des médicaments au Sénégal sont distribués par les agences de promotion, un secteur fortement dépendant de l’obtention rapide des AMM. Il s’en suit aussi une perte de compétitivité qui voit le Sénégal, deuxième économie de l’UEMOA, se faire distancer en la matière par des pays de la sous-région ayant adopté des modèles plus agiles en habilitant leurs agences de régulation à signer les AMM. Enfin, l’impact économique local est avéré car les retards freinent la création d’emplois, affectent le chiffre d’affaires des entreprises du secteur et entraînent une baisse des revenus pour l’ARP. Toutefois, il faut rappeler l’organisation du sous-secteur pour en saisir l’ampleur des enjeux.
Une contribution cruciale de la Soseap
La Soseap, entité pivot regroupant les acteurs majeurs de la promotion pharmaceutique, joue un rôle central dans le système de santé sénégalais. En 2023, elle a contribué à hauteur de 700 millions FCFA au budget de l’ARP (Agence de régulation pharmaceutique), soit près d’un tiers de ce dernier, principalement grâce aux redevances liées à l’enregistrement des médicaments. Les agences de promotion ne se limitent pas à l’approvisionnement : elles sont également le lien entre les laboratoires étrangers (Inde, Europe, Moyen-Orient, etc.) et les grossistes locaux, tout en assurant la diffusion d’informations thérapeutiques par le biais des délégués médicaux. Leur expertise et leur réseau sont des atouts inestimables pour le développement de l’industrie pharmaceutique locale. Il faut dire que nous disposons d’expérience inspirantes à l’international. Dans des pays comme la Côte d’Ivoire, le Niger ou la France, les agences de régulation pharmaceutique sont habilitées à signer les AMM, un dispositif qui a montré son efficacité. Cette délégation permet de raccourcir les délais administratifs tout en maintenant un contrôle rigoureux sur la qualité et la sécurité des produits mis sur le marché.
En s’inspirant de ces modèles, le Sénégal pourrait non seulement résorber les retards actuels, mais aussi renforcer sa position dans le domaine pharmaceutique au sein de l’UEMOA. L’accès rapide aux AMM est une condition indispensable pour attirer des investissements étrangers et encourager les joint-ventures entre acteurs locaux et internationaux, contribuant ainsi à la vision de souveraineté pharmaceutique du président de la République et de son gouvernement. C’est le lieu de saluer la tutelle du ministère de la Santé, encourager le Directeur général de l’Arp et son équipe sur les avancées obtenues dans sa mission. Dans le même élan, il nous faut aussi souligner la qualité de la collaboration des partenaires stratégiques, la Delevery unit (c’est une entité du Msas chargée de coordonner la mise en place des projets inscrits au plan de relance de l’industrie pharmaceutique locale) et les autres parties prenantes pour les chantiers entamés en corrélation avec la vision « Sénégal 2050 ».
Par ailleurs, vu l’urgence d’inscrire le paradigme de la souveraineté dans cette industrie, il faut saluer la volonté politique clairement exprimée d’accélérer le développement de l’industrie pharmaceutique nationale. Pour accompagner cette dynamique, il est essentiel de simplifier les procédures administratives afin d’attirer des partenaires stratégiques. La SOSEAP, forte de son expertise et de son réseau, est prête à jouer un rôle actif dans ce processus en facilitant les joint-ventures et en promouvant les investissements dans la production locale. Pour lever les obstacles actuels et maximiser l’efficacité de la régulation pharmaceutique, il est crucial de rendre fluide le processus de mise sur le marché. Cette mesure permettrait de réduire les délais administratifs et d’améliorer l’approvisionnement en médicaments, renforcer la compétitivité du Sénégal dans le domaine pharmaceutique, et optimiser l’utilisation des ressources de l’ARP, qui dépend étroitement des contributions des agences de promotion. Il s’agirait d’une décision traduisant une volonté de modernisation et de responsabilisation, tout en répondant aux attentes des acteurs du secteur.
Mouhamadou Bara Mbaye
Président de la Société sénégalaise des agences de promotion médico-pharmaceutique (Soseap)