Pendant des décennies, le développement du Sénégal a été pensé dans les cadres rigides d’un modèle imposé, fondé sur l’endettement, la dépendance aux marchés extérieurs et la dérégulation au nom du libre-échange.
Le résultat est sans appel :
- Le Sénégal importe plus de 80 % de ses céréales (FAO, 2023), alors que ses terres arables sont parmi les plus fertiles de la région ;
- 70 % des médicaments consommés sont importés, y compris les plus élémentaires (ANACMU, 2023).
- Nos télécommunications et nos fintechs sont majoritairement contrôlées par des capitaux étrangers, sans contrôle stratégique.
- Nos ressources minières sont exportées brutes, sans transformation locale ni captation de valeur.
Ce modèle a enrichi les chaînes de valeur d’ailleurs, affaibli notre tissu productif , marginalisé nos producteurs , creusé notre déficit commercial (-6,5 milliards USD en 2023) et installé une dépendance durable à l’aide, à la dette et précarisé notre jeunesse.
Mais le temps du diagnostic est terminé.
Nous savons que :
- Le libre-échange sans stratégie a désintégré nos filières agricoles et artisanales.
- L’endettement extérieur a atteint 11 864,20 milliards FCFA en 2023, soit 63,7 % du PIB, avec une charge de la dette représentant plus de 21 % des recettes budgétaires (Cour des comptes, 2024).
- Une économie dominée à plus de 60 % par le secteur tertiaire ne peut pas répondre aux besoins d’emploi, de souveraineté et de résilience.
La vraie question n’est plus : “Que faire ?”
Mais : “Par quoi commencer ?”
Regardons les modèles inspirants du Sud global.
La Chine a imposé une rupture assumée, avec une ouverture sélective aux capitaux étrangers, en exigeant des transferts de technologie. Résultats: 700 millions de personnes sorties de la pauvreté sans abandonner leur souveraineté.
Le Vietnam, dès 1986 a entamé des réformes endogènes, pilotées politiquement(Doi Moi), en combinant une économie mixte et souveraineté politique , en misant sur l’agriculture, l’éducation et les exportations transformées. Résultats: pauvreté divisé par 10.
Bien sûr, leurs trajectoires ne sont ni copiables ni transposables. Mais elles nous rappellent qu’un modèle autonome, pensé de l’intérieur, est possible.
Et le Sénégal dans tout ça ?
Depuis le 2 avril 2024, une refondation profonde est engagée. Elle repose sur quatre piliers non négociables (DPG, 2024) :
1. Souveraineté sur nos ressources, nos choix économiques et nos politiques publiques.
2. Productivité : redéploiement massif de l’agriculture, de l’industrie et de l’économie locale.
3. Justice sociale, pour lutter contre les inégalités territoriales et générationnelles.
4. Éthique de gouvernance, pour restaurer la transparence, l’équité et la redevabilité.
Concrètement, ce modèle vise :
- Une agriculture autosuffisante, irriguée, connectée aux marchés nationaux.
- Une industrialisation ciblée, orientée vers les besoins nationaux (matériaux de base, agroalimentaire, pharmaceutique…).
- Une diplomatie économique active avec les pays du Sud : Chine, Iran, Vietnam, Afrique centrale.
- Un État planificateur, stratège et bâtisseur.
Des réformes structurelles ambitieuses ont été annoncées dans ce cadre :
- Réforme de la commande publique pour réserver une part significative aux PME nationales.
- Réorientation budgétaire en faveur des secteurs sociaux et productifs : santé, éducation, agriculture.
- Audit et rationalisation de la dette publique, avec gel des emprunts non productifs.
- Réforme foncière pour sécuriser l’accès des producteurs aux terres.
- Création d’un Fonds de souveraineté pour mobiliser l’épargne nationale et financer l’investissement productif.
- Plan de formalisation massive de l’économie informelle et soutien à l’entrepreneuriat des jeunes.
- Loi sur le contenu local dans les secteurs stratégiques (mines, énergie, BTP).
- Restauration d’un service public performant, avec moralisation du recrutement et de la gestion.
Six axes structurants guident notre action :
1. Produire ce que nous consommons, et transformer ce que nous produisons. (tendance baissière du déficit commercial en 2024: -5.3 Mds USD en 2024 vs -6.5 Mds USD en 2023)
2. Connecter le territoire avec des infrastructures utiles : routes, rails, plateformes logistiques, ports intérieurs.
3. Dynamiser chaque région, en y développant des activités productives adaptées à leurs atouts (zones agro-industrielles, clusters artisanaux, pêche…).
4. Protéger nos marchés, en valorisant les PME et en encadrant les importations.
5. Faire de Dakar une place financière africaine, adossée à des fonds souverains stratégiques.
6. Mobiliser la diaspora et les communautés locales comme investisseurs, relais et ambassadeurs du changement.
Objectifs à viser entre 2025–2035 :
- Réduire de 50 % les importations alimentaires, pharmaceutiques et énergétiques.
- Créer 1 million d’emplois productifs dans l’agriculture, l’industrie, les services publics essentiels.
- Désendetter l’État en renforçant la mobilisation fiscale et en réduisant la dette improductive.
- Généraliser l’accès au numérique et en faire un levier de transparence et de compétitivité.
- Valoriser nos ressources naturelles pour qu’elles profitent d’abord à nos populations.
L’État redeviendra stratège, planificateur, bâtisseur.
- L’investissement productif sera favorisé, les spéculations extractives découragées.
- La priorité sera donnée à l’intérêt général, à la souveraineté et à la dignité nationale.
Il ne s’agit pas de se fermer. Il ne s’agit pas de copier.
Il s’agit de construire notre voie, avec lucidité, ambition et fierté.
Ce n’est pas une utopie. D’autres l’ont fait. Nous aussi, nous le pouvons.
Bakary Séga BATHILY
DG APIX