La traversée entre Dakar et Gorée par la chaloupe est devenue un calvaire quotidien et à haut risque. Autrefois symbole du lien entre Gorée et le continent, elle s’est transformée peu à peu en une expérience d’abandon, d’humiliation et de danger permanent, tant pour les Goréens que pour les visiteurs. Au moment où les questions du service public et de la sécurité des transports sont d’actualité, il est impératif d’alerter l’opinion publique et les services de l’Etat et d’agir.
Un service public qui trahit sa mission
La Liaison Maritime Dakar-Gorée (LMDG) est, sur le papier, un service public mis en place par l’État du Sénégal avec la Vile de Dakar (assumant d’antan la gestion administrative de l’île mémoire) et confié à la Société Nationale du Port Autonome de Dakar (SNPAD) depuis la convention n°0174 du 17 octobre 1973. Selon les textes fondateurs, la LMDG a pour mission d’assurer la desserte de l’île dans des conditions optimales de sécurité, de ponctualité et de continuité, tout en contribuant à la valorisation de Gorée, classée au patrimoine mondial de l’humanité.
À ce titre, la SNPAD s’est engagée à veiller à la maintenance régulière des chaloupes, à garantir des rotations fiables, à fidéliser les usagers par la qualité du service, et à soutenir la politique de promotion touristique de l’État. Mais cette ambition n’est plus qu’une façade, tant les réalités de la LMDG sont aujourd’hui à l’opposé de ces objectifs.
Une traversée devenue une épreuve
Au quotidien, les traversées entre Dakar et Gorée sont devenues des épreuves aléatoires d’endurance, de patience et parfois de peur. Les retards sont fréquents, les rotations irrégulières, les files d’attente interminables. Les usagers – résidents comme touristes – font face à une absence totale de prévisibilité, sans recours ni information en cas de perturbation. Des chaloupes annoncées en service tombent en panne avant d’appareiller. Sinon, elles effectuent la traversée dans des conditions mécaniques douteuses, avec des bruits suspects, de la fumée permanente et inquiétante, des vibrations inquiétantes, et des équipements de secours inopérants.
La sécurité, pourtant première mission du service, est aujourd’hui reléguée au second plan, voire totalement banalisée. Bouées absentes, gilets de sauvetage vétustes ou mal stockés, extincteurs hors d’usage, manque de briefing aux passagers : les fondamentaux sont ignorés, dans une zone pourtant soumise aux aléas climatiques et à un trafic dense.
Des incidents en chaîne, une peur silencieuse
Ces dernières années, plusieurs incidents ont été signalés : accostages difficiles, embarquements périlleux, pannes en mer, collisions évitées de justesse, bombards de sécurité qui tombent à l’eau. Mais dans presque tous ces cas, les événements passent sous silence, sans communication, sans enquête, sans retour d’expérience. Ce climat de non-dits et d’improvisation systémique nourrit une peur sourde, surtout parmi les populations insulaires pour qui la chaloupe est l’unique lien avec la terre ferme.
La situation est d’autant plus alarmante que les chaloupes utilisées sont vieillissantes, mal entretenues et technologiquement dépassées. Une tentative récente d’acquisition d’un nouveau navire s’est soldée par l’achat d’une chaloupe totalement inadaptée, présentée comme neuves lorsqu’elle est, semble-t-il, rafistolée et aujourd’hui hors service depuis plus d’un an, immobilisée sans aucune explication publique. Un scandale de gestion qui reste sans réponse.
Le tourisme à Gorée : victime collatérale
L’île de Gorée, emblème de la mémoire historique et destination prisée des touristes, paie aujourd’hui le prix de cette faillite logistique. Les visiteurs, découragés par les conditions de traversée, les retards ou les annulations imprévues, se détournent peu à peu de la destination. Les guides touristiques, les hôteliers, les restaurateurs et les artisans de l’île voient leur activité s’effondrer. Le tourisme local est en asphyxie.
Pire encore, le Goréen lui-même est souvent traité comme un usager de seconde zone, suspecté d’abus, de fraude ou simplement ignoré dans les priorités d’embarquement. Dans ce qui est censé être un service public, le résident de Gorée est souvent humilié, marginalisé, relégué au rang d’intrus.
Par ailleurs, un problème particulièrement préoccupant réside dans l’absence totale de gestion organisée des flux de visiteurs sur l’île de Gorée. La Liaison Maritime Dakar-Gorée (LMDG), principal transporteur maritime, déverse quotidiennement des centaines de passagers sur l’île dans des conditions souvent dramatiques et inacceptables, abandonnant les visiteurs à leur sort, sans aucune coordination ni encadrement. Il n’est pas rare d’observer des groupes scolaires rester bloqués une journée entière au port, exposés au soleil, sans abris, ni accompagnement, ou d’innombrables usagers (y compris des enfants) laissés sur le quai de Gorée jusqu’à des heures tardives, dans l’attente d’un retour hypothétique vers Dakar. Certains ont frôlé la perte de leur vol retour, simplement pour avoir tenté une visite historique et symbolique de l’île-mémoire.
À cela s’ajoute l’absence totale d’infrastructures d’accueil de la LMDG sur l’île elle-même, qu’il s’agisse d’abris contre la pluie ou le soleil, de points d’information ou de sanitaires. Ce déficit criant de dispositifs de régulation et d’accueil constitue une atteinte à la dignité des visiteurs, et entache gravement l’image d’un site inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Une exclusion institutionnalisée des acteurs locaux
Un facteur structurel explique en partie cette situation : la non-inclusion de la Commune de Gorée dans les décisions stratégiques concernant la LMDG et lorsque c’est le cas le nom respect des engagements pris à son égard et avec les populations (C’est le cas des derniers accords signés et des échanges eus avec les autorités portuaires). Depuis des années, les élus municipaux et les représentants de la population locale ne sont pas associés à la gouvernance du service, malgré leur connaissance du terrain, des besoins et des urgences.
Cette exclusion institutionnalisée a engendré un pilotage à l’aveugle, coupé des réalités, focalisé sur des objectifs bureaucratiques et commerciaux d’un service sensé être public mais aujourd’hui clairement à but lucratif et au détriment du bon sens.
Une cohabitation difficile dans l’espace portuaire
Sur le plan logistique, Gorée est également victime d’une cohabitation déséquilibrée au sein du Port autonome de Dakar, notamment avec la Gare Maritime Internationale (GMID), flambant neuve et priorisée pour des dessertes commerciales. Les ressources, les quais, les moyens logistiques et même les parkings sont accaparés par d’autres activités, au détriment du service Dakar-Gorée. Les usagers réguliers de la chaloupe se retrouvent relégués, sans espace dédié, sans accueil structuré, et souvent confrontés à des injonctions contradictoires. Le Goréen a perdu toute priorité dans sa traversée quotidienne. Un simple vendeur de cacahuètes ou un photographe bénéficie de plus de facilités
Silence, absence de dialogue, opacité
Autre réalité alarmante : l’absence totale de communication avec les usagers et les populations. Lorsqu’un départ est annulé, aucune alerte. Lorsqu’un incident survient, aucun communiqué. Lorsqu’une chaloupe est immobilisée, aucun plan de remplacement. Cette opacité généralisée alimente la frustration et la défiance. Aucune cellule d’écoute, aucun canal de retour client, aucun tableau d’horaires fiable : le service fonctionne dans un mutisme administratif désolant.
Traverser avec ses bagages, une vraie galère
Un autre point de tension trop souvent passé sous silence concerne la gestion chaotique des bagages. En dehors d’une politique tarifaire parfois arbitraire, fondée sur une surtaxe appliquée indistinctement — y compris à des effets personnels— la LMDG ne propose aucune solution logistique sécurisée ni claire pour la prise en charge des bagages des passagers. Les usagers sont régulièrement contraints de déposer leurs bagages dans des compartiments externes ou à même le quai, sans surveillance, ni étiquetage, ni contrôle.
Résultat : les pertes, vols ou confusions sont fréquents, et il n’existe aucun mécanisme transparent de réclamation ou de suivi. Cette négligence est particulièrement problématique pour les familles goréennes faisant leurs courses sur le continent, les marchandises transportées ou les groupes scolaires qui transportent du matériel. L’absence d’une infrastructure digne de ce nom pour la gestion des bagages renforce le sentiment d’abandon ressenti par les usagers.
Une administration pléthorique
Paradoxalement, la LMDG emploie un personnel pléthorique, visible sur les quais et dans les bureaux, mais dont l’utilité sur la qualité effective du service reste très limitée. L’impression générale est celle d’une organisation lourde, routinière, sans réactivité ni initiative, centrée sur elle-même au lieu d’être tournée vers l’usager. Cette déconnexion entre les moyens humains déployés et les résultats produits appelle à une évaluation sérieuse de l’efficacité organisationnelle.
Plus de temps à perdre, un plan d’urgence opérationnel s’impose !
Face à l’ampleur du dysfonctionnement et au désarroi grandissant des usagers, il ne suffit plus de diagnostiquer. Il faut agir, avant qu’il ne soit trop tard ! Une réforme profonde prendra du temps, certes, mais des mesures provisoires, rapides et concrètes peuvent – et doivent – être prises sans délai.
– La nécessité d’avoir des chaloupes sures et fonctionnelles : Il faut immédiatement auditer les chaloupes en service, avec des experts indépendants. En parallèle, l’État doit, au moins, envisager la location immédiate ou la réquisition temporaire de navires adaptés, même pour une durée limitée, afin de garantir une continuité de service pendant les travaux de remise à niveau. Dans un moyen terme, l’acquisition de plusieurs chaloupes neuves et avec des capacités adéquates est nécessaire à la survie de Gorée et la satisfaction des besoins de mobilités attachés à la continuité du territoire pour les populations basées sur l’île.
– Un dispositif de sécurité renforcé : Tous les équipements à bord doivent être revus, remplacés ou réparés dans l’urgence : gilets, bouées, extincteurs, signalétique. Le personnel navigant doit suivre un recyclage express sur les procédures de sécurité et de gestion d’urgence. Aucun navire ne doit quitter le quai sans une vérification préalable des dispositifs de secours.
– L’exigence d’un système de gestion des bagages : Il est impératif que la LMDG mette en place un système structuré et sécurisé de gestion des bagages, avec des zones de dépôt surveillées, un étiquetage systématique, des tickets de suivi, et une politique tarifaire claire, encadrée et proportionnée. Cette réforme doit s’accompagner de la création d’un dispositif de recours et de réclamation pour les pertes ou détériorations, garantissant ainsi la protection des biens des usagers et renforçant leur confiance dans le service public maritime.
– L’amélioration des conditions d’accueil à terre : Des efforts simples peuvent être faits dès maintenant : réserver des zones de stationnement aux résidents de Gorée, fluidifier les accès au quai, améliorer la signalétique et surtout mettre en place une billetterie efficace, digitalisée ou non, avec un système d’information réactif et actualisé.
En matière de gestion, il est indispensable de réorganiser intégralement la gestion des flux de visiteurs, en établissant une coordination quotidienne entre la LMDG, les autorités locales et les acteurs du tourisme. Un système de réservation régulé, de créneaux horaires encadrés et de limitation du nombre de visiteurs par plage horaire permettrait d’éviter les encombrements et les situations chaotiques actuellement observées.
La LMDG doit par ailleurs être tenue de chercher une solution en bonne intelligence avec la commune pour mettre en place sur l’île des espaces d’attente dignes, ombragés et sécurisés, pour abriter les visiteurs contre les intempéries. L’amélioration des conditions d’accueil à quai, couplée à une meilleure gestion du trafic maritime, s’impose comme une urgence tant sur le plan de la sécurité que de l’image du site.
– La mise en place d’une cellule de gouvernance inclusive : Une cellule mixte de gestion temporaire, intégrant la Commune de Gorée, des représentants d’usagers, la SNPAD et des techniciens du Port, devrait être instituée pour piloter les décisions immédiates et assurer un suivi transparent des actions engagées.
– Transparence et audit : Un audit organisationnel et de gestion des dernières années doit être mené : choix d’investissement, achats de navires, recrutement, dépenses de maintenance. L’objectif n’est pas la chasse aux sorcières, mais la mise à plat d’un système en crise pour en extraire les racines du dysfonctionnement.
Pour une refondation du service public maritime : un enjeu stratégique
La LMDG n’est pas un luxe, ni un service de confort. C’est une infrastructure vitale, un lien humain, économique et symbolique entre une île et le continent. Elle incarne, en théorie, la continuité territoriale et l’égalité d’accès au service public. La situation actuelle trahit cette mission fondamentale.
L’État du Sénégal doit reprendre la main avec courage, pour sauver ce qui peut encore l’être, avant que la tragédie ne soit irréversible. Les solutions existent, les moyens aussi. Il ne manque que la volonté politique et une véritable écoute des usagers et des habitants de Gorée.
M. Abdoulaye DIA
Usager goréen et Conseiller Municipal à la Commune de l’Ile de Gorée