Face à une jeunesse en pleine expansion démographique et un marché du travail structurellement limité, le Sénégal est confronté à un défi majeur : l’emploi des jeunes. Malgré de nombreuses politiques publiques et programmes d’insertion, le chômage et la précarité persistent, alimentés par des obstacles structurels, éducatifs et sociaux. Transformer cette urgence en opportunité exige une action cohérente, inclusive et orientée vers les secteurs porteurs.
Une pression démographique accrue sur le marché du travail
Le Sénégal est confronté à une forte pression démographique : en 2022, la moitié de la population avait moins de 18 ans, et le pays connaît un taux de croissance de 2,5 % par an. Les jeunes de 18 à 35 ans représentent environ 28,8 % de la population, soit 5,1 millions de personnes selon l’Agence Nationale de la Statistique et de la démographie. Chaque année, entre 100 000 et 300 000 jeunes arrivent sur le marché du travail, alors que seuls 30 000 emplois formels sont créés annuellement. En conséquence, l’informalité domine l’emploi, représentant environ 90 % des postes occupés par les jeunes. Plus de 65 % des emplois sont considérés comme « vulnérables », caractérisés par une faible productivité et une absence de protection sociale.
Le chômage, quant à lui, demeure élevé : le taux de chômage élargi (incluant les personnes découragées) atteint 21 à 23 % à la fin de 2023. Les disparités sont importantes : près de 25 % de chômage en milieu rural contre 19 % en zone urbaine ; les jeunes femmes sont particulièrement touchées (34 % contre 12 % pour les hommes). Par ailleurs, près d’un tiers des jeunes de 15 à 24 ans ne sont ni en emploi, ni en formation, ni en éducation – un phénomène encore plus marqué chez les filles. Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) note que 40 % des jeunes de moins de 35 ans sont sans emploi, sans formation ni diplôme.
Un chômage persistant des jeunes maintenu par des causes structurelles et contextuelles
La première cause majeure est d’ordre structurel. L’économie sénégalaise, bien qu’en croissance, ne crée pas suffisamment d’emplois formels pour absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail. Le niveau de qualification est également problématique : près de la moitié des jeunes chercheurs d’emploi sont sans diplôme, et un quart n’ont pas terminé le secondaire. Cela rend leur insertion professionnelle difficile et les condamne souvent à l’emploi informel ou au sous-emploi.
À cela s’ajoutent des déterminants contextuels : le favoritisme, les réseaux personnels et les appuis politiques sont souvent des conditions d’accès à l’emploi, marginalisant ceux qui en sont dépourvus. Les jeunes vulnérables – femmes, personnes handicapées, ruraux – sont particulièrement défavorisés. Par exemple, les jeunes en situation de handicap déplorent le non-respect de la Loi d’orientation sociale, qui freine leur insertion professionnelle. Enfin, l’absence de protection sociale dans le secteur informel aggrave la précarité.
Des politiques publiques d’emploi diversifiées mais fragmentées
Depuis les années 1980, plusieurs initiatives publiques ont été mises en œuvre pour améliorer l’employabilité des jeunes : Fonds National de l’Insertion des Jeunes, Fonds National de Promotion des Jeunes (FNPJ), Agence Nationale pour l’Emploi des Jeunes (ANPEJ), Agence Nationale pour l’Insertion et le Développement Agricole (ANIDA), Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et Abondance (GOANA), Retour Vers l’Agriculture (REVA) … Malgré cette pluralité, la durabilité des emplois créés reste limitée. Les obstacles résident notamment dans le manque de financement et de dispositifs techniques d’accompagnement, mais aussi dans la vulnérabilité des bénéficiaires face aux risques économiques et climatiques.
Plus récemment, la Délégation à l’Entreprenariat Rapide (DER/FJ) en 2017, l’ANPEJ en 2014, le Programme Sénégalais pour l’Entrepreneuriat des Jeunes (2016), la 3FPT ou encore le Fonds de Garantie des investissements Prioritaires (FONGIP) ont tenté de renforcer l’entrepreneuriat et la formation professionnelle. Par exemple, en 2020, la DER avait financé plus de 106 000 microprojets dont 75 % portés par des femmes, et le Fonds de Financement de la formation Professionnelle et Technique (3FPT) a formé plus de 100 000 jeunes en 2023. Cependant, l’impact global reste modeste : le chômage des jeunes reste proche de 25 %, en partie à cause d’un manque de coordination entre les initiatives.
Un enseignement et une formation à adapter aux exigences du marché
Face à ce constat, l’État a entrepris des réformes éducatives et institutionnelles pour mieux répondre aux besoins du marché du travail. De nouvelles filières ont été ouvertes dans les secteurs agricoles, numériques ou encore des services. De nouvelles institutions sont créées : Université du Sine Saloum (USSEIN), Institut Supérieur Enseignement Professionnel (ISEP), Université Amadou Moctar Mbow (UAM), Université Numérique Cheikh Hamidou Kane (UN-CHK), etc. Ces structures visent à améliorer la qualification des jeunes et leur adéquation au tissu économique.
Malgré ces efforts, le défi de l’insertion reste entier. L’exploitation prochaine du pétrole et du gaz appelle notamment à renforcer l’offre de formation dans ces domaines stratégiques. Il devient urgent d’anticiper les besoins en compétences dans les filières d’avenir.
Pour une politique d’emploi plus efficace et inclusive
Plusieurs axes d’action se dégagent : mieux adapter la formation aux secteurs porteurs : agriculture, numérique, énergie, logistique, etc.
Favoriser les partenariats écoles/entreprises et le développement de l’alternance.
Soutenir l’entrepreneuriat local via un accès facilité au crédit, à l’accompagnement et aux incubateurs.
Cibler les jeunes les plus défavorisés (ruraux, femmes, personnes vivant avec un handicap) par des fonds dédiés et des politiques inclusives.
Créer un guichet unique de coordination des politiques d’emploi et suivre des indicateurs clairs de performance.
Renforcer l’orientation professionnelle et les plateformes d’information sur l’emploi.
Exploiter le potentiel de la diaspora pour investir dans l’économie locale.
Le Sénégal se trouve à un tournant démographique et économique décisif. L’enjeu est donc de transformer le défi démographique en atout économique. Les pouvoirs publics doivent veiller à ce que la croissance économique du Sénégal ait un visage jeune en créant un environnement propice à des emplois décents et durables pour les jeunes. Les chiffres récents montrent qu’en dépit des initiatives actuelles, le chômage des jeunes reste préoccupant. Il est donc urgent de réorienter les politiques en combinant soutiens à l’entrepreneuriat, formation ciblée et investissements dans les filières créatrices d’emplois (agroalimentaire, industrie, numérique). Seule une approche intégrée – regroupant coordination étatique, concertation avec le secteur privé et appropriation par les jeunes – permettra de réduire significativement le chômage des jeunes et d’assurer une croissance plus inclusive au Sénégal.
La Vision Sénégal 2050 place l’emploi des jeunes au cœur de la stratégie nationale, en insistant sur la valorisation du capital humain (éducation et formation adaptées) et la transformation structurelle de l’économie. Elle encourage l’entrepreneuriat des jeunes et la formalisation de leurs activités pour créer des emplois décents et renforcer leur insertion professionnelle. Pour y parvenir, des réformes structurelles audacieuses, le soutien à l’innovation et des partenariats public-privé sont préconisés, avec une attention à l’inclusion territoriale, afin de bâtir un marché du travail plus inclusif et porteur de croissance pour la jeunesse.
Mouhamed DIANKHA
Économiste