Dans la culture sereer, le mariage transcende l’union de deux individus pour devenir une alliance entre deux familles, souvent orchestrée par les liens maternels. Ce processus traditionnel est marqué par trois étapes clés : les négociations, la constitution de la dot et la cérémonie.
Une alliance fortifiée par la parenté
Chez les Sereer, le mariage est souvent arrangé au sein de la famille élargie, en particulier du côté maternel. Un jeune homme peut ainsi épouser la fille de son oncle ou de sa tante maternelle, renforçant ainsi les liens familiaux et assurant la continuité culturelle. Cette pratique souligne l’importance de la solidarité et de l’entraide au sein de la communauté.
Les trois phases du Mariage Sereer
Le processus matrimonial se déroule en trois étapes distinctes : la négociation (incluant la dot), la célébration et les rites d’intégration.
1. La phase de négociation et la Dot
Approche Familiale :
Les discussions débutent généralement entre les chefs de famille, souvent les hommes, avant que le prétendant ne puisse formellement demander la main de la jeune fille. Cette étape est cruciale pour établir les bases de l’union et s’assurer de l’approbation de toutes les parties concernées.
La Dot :
La dot est divisée en quatre parties, chacune ayant une signification particulière :
Première partie :Versée au père de la mariée ,
Deuxième partie : Destinée à la mère de la fiancée, elle sert à financer l’équipement de la nouvelle maison, notamment les ustensiles de cuisine. La mère partage souvent cette part avec ses sœurs (tantes maternelles de la fiancée), qui jouent un rôle actif dans l’acquisition des biens.
Troisième partie : Allouée directement à la fiancée, elle est utilisée pour l’achat de vêtements et d’effets personnels.
Quatrième partie : Réservée à l’oncle maternel (Tokoor) de la fiancée, elle est traditionnellement destinée à l’achat d’une vache pour les futurs enfants du couple.
Symboles d’Acceptation : L’acceptation de la demande en mariage est symbolisée par l’offrande de noix de cola, de feuilles de tabac (environ 250 grammes), d’une bouteille de vin et de deux bouteilles de bière, distribuées aux membres de la famille et aux notables du village. Ces derniers offrent en retour leurs bénédictions au couple.
Rôle Prépondérant de l’Oncle Maternel : L’oncle maternel (Tokoor) de la fiancée joue un rôle crucial, souvent plus influent que le père, dans l’acceptation de la dot et du mariage. De même, l’oncle maternel du prétendant est impliqué et contribue à une partie de la dot.
2. Le Travail Préparatoire et l’Accord Final
Travail Préparatoire : Avant le mariage, le futur époux travaille souvent pour la famille de la mariée, cultivant leurs champs ou construisant des greniers à mil. Ce travail témoigne de sa valeur, de son courage et de sa capacité à subvenir aux besoins de sa future épouse.
Évaluation Financière : En l’absence de ce travail manuel, la belle-famille peut en évaluer la valeur financière. Le « Ndiik » (bras droit et représentant du prétendant) négocie alors les termes de compensation le jour même du mariage.
Accord Final : Une fois toutes les formalités (négociations, dot, travail/compensation) accomplies, les parents du jeune homme, accompagnés de son oncle maternel, rencontrent la belle-famille pour fixer définitivement la date de la cérémonie de mariage.
3. Les Rites de la Cérémonie
Entre le bain rituel précédant le départ de la maison familiale et l’arrivée au domicile conjugal, le mariage Sereer est riche en symboles et traditions.
Le Bain Rituel de Purification et Renaissance :
Ce bain se déroule à l’extérieur de la maison, dans un grand récipient appelé Mbaar, rempli d’eau mélangée à des racines et à une poudre protectrice.
Il purifie la jeune fille, qui se baigne entièrement nue pour symboliser une renaissance totale. Sa nudité la place dans un état d’intemporalité, signifiant qu’elle « meurt » symboliquement dans le liquide sacré du Mbaar pour renaître purifiée. Cette nudité est une exigence de pureté absolue.
La prêtresse ou l’initiatrice verse de l’eau sur sa tête en récitant des prières, répétant ce geste trois fois avant de se retirer. La jeune fille termine son bain seule.
Elle revêt ensuite des vêtements neufs, symboles de sa renaissance. L’initiatrice place un voile blanc sur sa tête et entonne un chant repris par l’assistance. Une cousine spécifique (o paɗ ) reste à ses côtés pour la soutenir. Les femmes présentes invoquent Roog, le dieu suprême Sereer, en priant pour que la terre et Dieu accompagnent la jeune fille, que ses enfants soient bénis, qu’elle vive longtemps, et que les bénédictions de ses parents la suivent.
Le Rituel de Fécondité
Après l’accueil du cortège par le chef de famille, une natte est installée dans la cour.
La mariée s’y agenouille, un vase sur la tête. On y verse des grains de mil qu’elle recueille avec ses mains, trois fois de suite. Une femme âgée dépose du coton sur sa tête en lui souhaitant d’être « souple et légère comme ce coton ». Le pagne qu’elle porte sur la tête est remplacé par un neuf, offert par sa belle-sœur. Elle mélange ensuite de la farine de mil avec de l’eau sucrée, tandis que l’assistance prie pour sa fécondité et sa prospérité.
Ce rituel est supervisé par les anciens, qui attribuent des pouvoirs de fertilité à des objets comme les noyaux, les coquilles et les coquillages. Si une femme mariée a des difficultés à concevoir, elle porte un petit pagne blanc orné de perles et de coquillages pour invoquer les forces mystiques de la fécondité. Ce pagne est également porté lors de danses initiatiques ou agraires et n’est retiré qu’après la naissance du premier enfant.
Le Départ et l’Arrivée au village du mari : La jeune fille sort et rentre dans la concession familiale trois fois sous le regard des femmes âgées. La troisième sortie marque le départ définitif du cortège nuptial, accompagné par les griots. La mariée est conduite montée sur une charrette ou une jument, tandis que des proches portent ses effets personnels. À l’arrivée au village du mari, le cortège est accueilli avec des cris de joie et des coups de fusil. Les habitants se rassemblent sur la place publique, où la mariée doit effectuer trois tours symboliques avant d’atteindre son nouveau domicile.
Rites d’Installation de la Mariée :
Deux lignes formant une croix sont tracées devant l’entrée de la concession. Le chef de famille verse de l’eau sacrée (symbole de vie et de purification) sur ces lignes pour accueillir la mariée.
Celle-ci doit passer sous un pagne de coton tenu en hauteur, en empruntant spécifiquement la ligne menant à l’intérieur de la maison. Ce geste marque son engagement à s’intégrer dans sa nouvelle famille avec respect et harmonie.
Elle participe ensuite au rituel du Maañ : du mil, du riz et du coton sont mélangés dans un vase puis versés sur sa tête. Ces éléments représentent la fertilité, la prospérité et la pureté, formant des vœux pour un mariage fécond et durable.
Le cérémonial d’installation se poursuit avec des rites, des chants et des danses exécutés par les femmes et les amis du marié. La danse spécifique de la nouvelle mariée, également appelée Maañ, est exécutée alternativement debout et à genoux.
Ce rituel est suivi d’un sacrifice animal (souvent une vache ou un mouton) en hommage aux ancêtres. La viande est partagée entre les deux familles et les invités, scellant solennellement l’alliance des clans.
Le mariage sereer est une célébration vibrante de l’union amoureuse, mais aussi un témoignage vivant de l’importance des liens familiaux et des traditions ancestrales. En respectant scrupuleusement ces coutumes, les couples sereer font en sorte que leur mariage soit non seulement une alliance personnelle, mais aussi une affirmation de leur héritage culturel et de leur identité communautaire. La rareté historique du divorce au sein de cette tradition souligne la durabilité et la force des unions ainsi forgées.
Sobel DIONE, anthropologue, chercheur et spécialiste de la culture sérère