Souvent, dans une nation, l’engagement politique et les discours bien intentionnés ne suffisent plus. Face à certaines crises sanitaires comme celle du cancer, seule une volonté ferme, soutenue par une vision claire et une politique cohérente, peut produire des résultats durables. Le Sénégal ne fait pas exception.
Aujourd’hui, la sophistication du problème du cancer dans notre pays crée plus de confusion que d’espoir. Pire, l’absence d’un registre national des cancers constitue une véritable faille dans notre système de santé. Comment lutter efficacement contre une maladie dont on ne mesure même pas l’ampleur ? Comment planifier des ressources, anticiper les besoins, ou assurer une prise en charge équitable sans données fiables et à jour ?
Le parcours du combattant que vivent les malades de cancer et leurs familles est révélateur d’un système à bout de souffle. Les coûts élevés des examens indispensables (échographies, scanners, IRM, analyses anapath., les bilans biologiques) deviennent des barrières infranchissables pour une majorité de Sénégalais. Les délais d’attente interminables, les prises en charge non protocolisées, souvent laissées au bon vouloir des acteurs, la disponibilité et la qualité des médicaments creusent davantage les inégalités.
Il est temps d’aborder le cancer non plus comme un simple événementiel médical annuel ou statistique, mais comme un enjeu de société, une priorité nationale.
Un changement de paradigme est nécessaire et indispensable.
La lutte contre le cancer commence bien avant le diagnostic. Elle commence dans nos assiettes, dans nos quartiers, dans nos écoles. Il devient urgent d’accroître la surveillance des produits alimentaires, en particulier ceux contenant des perturbateurs endocriniens, des pesticides suspectés de favoriser certains types de cancers. Notre environnement doit être assaini : gestion des déchets, contrôle de la pollution, encadrement de l’urbanisation galopante et amélioration des conditions d’habitat sont autant d’actions préventives indispensables.
Cette révolution a besoin d’une réorganisation dans les aspects médicaux, sanitaires et de la prise en charge des malades et de la maladie.
Sur le plan médical, la réponse doit être systémique. Il est impératif de former un véritable circuit de professionnels spécialisés : cancérologues médicaux, chirurgiens, radiothérapeutes, physiciens médicaux, paramédicaux… Mais la formation ne suffit pas. Ces compétences doivent être disponibles et accessibles sur tout le territoire national, et non concentrées dans les capitales.
Cela implique la démultiplication des centres de prise en charge du cancer, en tenant compte des réalités locales et des besoins spécifiques des régions.
Enfin, pour garantir la souveraineté de notre système de santé, le Sénégal doit travailler à l’autonomisation en matière de médicaments et dispositifs médicaux, à travers des partenariats, des transferts de technologie ou une production locale encadrée.
Le cancer est un ennemi silencieux mais ravageur. Il ne se combat pas avec de la rhétorique, mais avec une stratégie de santé publique ambitieuse, inclusive et rigoureuse. Chaque jour perdu dans l’inaction ou le folklore coûte des vies, fragilise des familles et accentue la fracture sociale.
L’État, les collectivités, les professionnels de santé, les citoyens : tous doivent prendre leur part. Car face au cancer, la seule réponse valable, c’est le courage politique et l’action collective.
Dr Serigne Falilou Samb
Conseiller national de l’Ordre des médecins du Sénégal
Président de l’Association des cliniques privées du Sénégal