Un tournant stratégique vers la souveraineté économique
Le Masterplan 2025-2034 s’inscrit dans la continuité de la Vision Sénégal 2050 et marque une nouvelle ère de planification économique au Sénégal. Il ne s’agit plus d’un simple document de programmation, mais d’un instrument de rupture visant à refonder le modèle de développement sur quatre piliers : l’économie compétitive, le capital humain, l’aménagement durable du territoire et la bonne gouvernance.
En intégrant la prospective à long terme à la budgétisation triennale, ce plan propose une chaîne de planification cohérente et mesurable, rompant avec la logique fragmentée des politiques publiques antérieures. Il s’inscrit dans une démarche de continuité, de cohérence et d’efficacité, cherchant à assurer une véritable articulation entre vision, stratégie et exécution.
Une ambition économique fondée sur la transformation structurelle
L’économie sénégalaise, encore dominée par le secteur informel et une forte dépendance aux importations, cherche ici à se réinventer autour d’une souveraineté productive. Le Masterplan met l’accent sur neuf objectifs économiques structurants, parmi lesquels la modernisation du secteur agroalimentaire, la valorisation des industries extractives, le développement industriel, la recherche, l’innovation et la transformation numérique.
L’ambition est claire : doubler la valeur ajoutée agricole, porter la transformation locale à 60 % et réduire drastiquement le déficit agroalimentaire d’ici 2034. De même, la part des exportations manufacturières devra atteindre 35 % des exportations totales, tandis que le taux d’accès au financement des PME passera de 22 à 50 %.
Mais cette transformation s’accompagne d’un redressement macroéconomique volontariste. Selon les projections du Masterplan, le PIB national passerait de 17 228 milliards FCFA en 2022 à 36 789 milliards en 2034, avant d’atteindre 105 000 milliards FCFA à l’horizon 2050. Le déficit budgétaire serait ramené de 12,3 % du PIB en 2023 à 3 % en 2034, tandis que la dette publique reculerait de 99,67 % à 65 % du PIB.
La pression fiscale progresserait de 18,3 % à 25 % du PIB, traduisant un effort d’élargissement de l’assiette et de rationalisation des dépenses publiques. Le taux de croissance, quant à lui, passerait de 4,6 % en 2023 à 6,5 % en 2034, soutenu par l’investissement productif, la maîtrise de l’inflation (ramenée à 2 %) et une meilleure synergie entre le secteur public et le secteur privé.
Derrière ces chiffres se dessine une vision volontariste : celle d’un État stratège misant sur l’investissement productif, la régulation des prix et l’élargissement de l’assiette fiscale. Le plan place également le financement domestique et la microfinance au cœur de la dynamique, tout en intégrant des innovations telles que les Patriote Bonds[1], la finance islamique, les fonds souverains et les partenariats public-privé structurés.
Le capital humain, cœur battant du développement
Aucune transformation économique ne peut se concevoir sans un capital humain robuste. Le Masterplan propose à cet effet un ensemble d’actions cohérentes : réformer le système éducatif, professionnaliser les jeunes, renforcer la santé publique et développer la protection sociale.
Les impacts attendus sont ambitieux : réduire le taux de jeunes sans emploi ni formation (NEET) de 46,8 % à 10 %, porter l’Indice de développement humain de 0,51 à 0,65, et étendre la couverture sociale à 70 %. Le plan met également l’accent sur la santé universelle, la formation technique et professionnelle, ainsi que la valorisation du sport et de la culture comme leviers d’inclusion sociale et d’influence internationale.
En mobilisant la diaspora, les jeunes et les femmes, le Masterplan cherche à bâtir une société plus juste, plus productive et socialement équilibrée. La construction d’universités régionales, d’hôpitaux modernes, de maisons de la jeunesse et d’incubateurs culturels traduit cette volonté d’ancrer le développement dans la proximité et l’équité.
Une territorialisation du développement
Le plan introduit une approche nouvelle de l’aménagement du territoire, visant à rompre avec la concentration excessive des activités à Dakar et à favoriser des pôles régionaux équilibrés. L’objectif est de porter à 65 % la part du PIB produite hors de la capitale d’ici 2034, contre 55 % en 2023.
Cette territorialisation du développement repose sur la promotion d’une urbanisation maîtrisée, la réduction des déséquilibres régionaux et le renforcement de la connectivité logistique et numérique. L’accès universel à l’électricité, la montée en puissance des énergies renouvelables, la construction de corridors économiques et la promotion de l’économie sociale et solidaire figurent parmi les axes majeurs de cette politique.
L’accent mis sur la durabilité environnementale traduit aussi la volonté du Sénégal de concilier croissance et écologie. Reboisement, économie circulaire, efficacité énergétique et aménagement des territoires ruraux deviennent des leviers stratégiques pour une croissance plus verte et plus inclusive.
Une gouvernance rénovée comme condition de réussite
Toute stratégie de transformation repose sur une gouvernance crédible et efficace. Le Masterplan s’engage à digitaliser 100 % des services administratifs essentiels d’ici 2030 et à instaurer une culture de performance publique fondée sur la transparence et la redevabilité.
La réforme de l’administration, la modernisation de la justice, la déconcentration des pouvoirs, la lutte contre la corruption et la consolidation de l’État de droit sont au cœur de cette démarche. En parallèle, la diplomatie économique et l’intégration africaine occupent une place stratégique : le Sénégal entend affirmer son leadership continental et renforcer sa « marque pays » sur la scène internationale.
Cette gouvernance rénovée vise à restaurer la confiance entre l’État et les citoyens, à simplifier les procédures, à promouvoir la participation citoyenne et à rendre l’administration plus performante et plus proche des réalités locales.
Une vision ambitieuse, mais exigeante dans sa mise en œuvre
Le Masterplan 2025-2034 se veut un instrument de convergence entre ambition et réalisme. Sa réussite dépendra de trois conditions majeures :
- D’abord, la discipline budgétaire et la cohérence institutionnelle, pour éviter la dispersion des initiatives et renforcer la continuité des politiques publiques ;
- Ensuite, l’implication effective du secteur privé, que le plan érige en moteur de la transformation économique ;
- Enfin, la rigueur dans le suivi-évaluation, condition essentielle pour garantir la transparence, la redevabilité et l’efficacité des actions entreprises.
En définitive, ce plan décennal offre une boussole nationale pour une économie plus souveraine, plus juste et plus inclusive. Il redonne à la planification son rôle d’instrument stratégique au service de la souveraineté économique, du développement durable et du bien-être collectif.
[1] Les Patriote Bonds et les solutions numériques permettront de mobiliser l’épargne domestique et celle de la diaspora, en canalisant les ressources privées et les transferts de fonds vers des projets publics et privés jugés stratégiques. Ces instruments visent à renforcer le financement interne du développement et à promouvoir une participation citoyenne au financement de l’économie nationale.
Seydou Sow
Économiste financier et analyste quantitatif
Seydou20.sow@ucad.edu.sn


