La rencontre de Milan autour du Plan de Redressement Économique et Social (PRES) a confirmé la symbiose entre le projet Pastef, incarné par Ousmane Sonko, et la diaspora sénégalaise, prête à consentir tous les sacrifices pour le développement du pays. Cette mobilisation illustre une vérité fondamentale : le Sénégal dispose d’une énergie patriotique unique, capable de devenir le moteur de sa souveraineté énergétique.
Cette force collective n’est pas qu’un symbole. L’exemple éthiopien, avec l’inauguration récente du barrage de la Renaissance, prouve qu’un financement endogène et la participation populaire peuvent transformer un rêve en réalité. Pour le Sénégal, le même esprit peut fonder une Hydroélectrique de la Souveraineté, destinée à ancrer durablement notre émancipation énergétique et à rendre justice aux sacrifices du peuple et de sa diaspora.
Un projet pharaonique, une participation collective
L’exemple éthiopien est édifiant. En 2011, Addis-Abeba lança la construction du Grand Barrage de la Renaissance (GERD), une infrastructure de 145 mètres de haut, 1 800 mètres de large et dotée d’un réservoir de 74 milliards de m³. Avec une capacité finale de 5 150 MW — soit plus du double de la production actuelle du pays et près de trois fois la puissance totale installée au Sénégal — le GERD est devenu le plus grand barrage hydroélectrique d’Afrique.
Financé à hauteur de 5 milliards USD exclusivement par des ressources nationales — contributions salariales, obligations et mobilisation massive de la diaspora — il s’est imposé comme un véritable acte patriotique. Fonctionnaires, paysans, étudiants, commerçants, artistes et expatriés ont participé, parfois au prix de lourds sacrifices personnels. Cet effort collectif a transformé un chantier en manifeste de souveraineté.
Historiens et analystes qualifient le GERD de « plus grande œuvre réalisée par des Africains noirs depuis l’époque pharaonique », tant son ampleur dépasse le cadre énergétique. Dans un pays longtemps divisé, il est devenu force d’unité et symbole de fierté nationale, démontrant la capacité du continent à ériger par ses propres forces une infrastructure de dimension civilisationnelle.
Pour accompagner cette production colossale, la State Grid Corporation of China a investi 1,8 milliard USD dans la modernisation du réseau de transport, ouvrant la voie à l’exportation vers le Soudan du Sud, le Kenya et le Djibouti.
Grâce à ce pari, l’Éthiopie vise quatre objectifs stratégiques :
1. Assurer l’accès universel à l’électricité, en portant le taux de couverture de moins de 50 % à 90 % d’ici 2030 ;
2. Réduire drastiquement le coût de l’électricité, l’hydroélectricité étant la source la plus compétitive au monde ;
3. Accélérer la transition énergétique par un mix décarboné et résilient ;
4. Quadrupler la consommation annuelle par habitant, de 70 kWh en 2020 à près de 300 kWh en 2030.
Fermeté diplomatique et symbole continental
La véritable leçon tient à la fermeté diplomatique de l’Éthiopie. Pendant plus d’une décennie, malgré l’opposition de l’Égypte et du Soudan — inquiets de la baisse du débit du Nil et de l’ascension énergétique de leur voisin — et malgré les pressions répétées d’organismes internationaux, Addis-Abeba n’a pas cédé. En affirmant que le droit à l’énergie est indissociable de la souveraineté nationale, elle a fait du barrage de la Renaissance un symbole continental : un acte de résistance qui a redonné confiance à l’Afrique dans sa capacité à décider par elle-même de son avenir énergétique.
Sagesse stratégique et vision endogène
La réussite éthiopienne ne tient pas seulement à la mobilisation populaire et à la fermeté diplomatique, mais aussi à une sagesse stratégique. Avant de poser la première pierre du barrage, le pays a choisi de s’inspirer des expériences de pays émergents, notamment le Brésil, qui a su planifier son développement hydroélectrique à travers un Plan National de l’Énergie (PNE 2050). Ce dernier prévoit l’exploitation de plus de 52 GW de potentiel hydroélectrique encore disponible, démontrant que les grandes infrastructures ne peuvent être réalisées qu’adossées à une vision de long terme.
Cette démarche a permis à l’Éthiopie d’élaborer une feuille de route énergétique claire, intégrant les horizons court, moyen et long terme, et assurant la cohérence entre besoins intérieurs, potentiel hydraulique et objectifs de transition énergétique.
En d’autres termes, la construction du barrage de la Renaissance n’était pas un geste isolé, mais l’aboutissement d’une vision endogène et planifiée, où l’ingénierie, la diplomatie et la mobilisation populaire convergent dans un projet national assumé par le peuple lui-même.
Le Sénégal à la croisée des chemins : l’Hydroélectrique de la souveraineté
Le Sénégal dispose d’atouts considérables. Le fleuve Sénégal, long de 1 700 km et couvrant un bassin de 337 000 km² partagé entre la Guinée, le Mali, la Mauritanie et le Sénégal, recèle un potentiel hydroélectrique immense, estimé à plus de 8 000 MW. Or, moins de 6 % de cette capacité est aujourd’hui exploitée. Les ouvrages actuels – Manantali (200 MW, produisant en moyenne 800 GWh/an), Félou (70 MW) et bientôt Gouina (140 MW) – restent très en deçà des besoins régionaux. Même avec les projets dits de « seconde génération » de l’OMVS, la puissance installée ne dépasserait pas 2 000 MW, soit à peine un quart du potentiel global du Fleuve
En s’inspirant de l’expérience éthiopienne et des méthodes de planification rigoureuses du Brésil, notre pays doit élaborer sans délai un Plan National de l’Énergie (PNE). Un tel plan, conçu avec et par la population et la diaspora, tracerait une trajectoire claire à court, moyen et long terme : garantir l’accès universel à l’électricité, réduire durablement son coût et accélérer la transition énergétique. Mais pour cela, il faut dépasser les limites actuelles du Pacte National pour l’Énergie et de la Lettre de Politique de Développement du Secteur de l’Énergie et des Mines (2025–2029). Ces deux documents, bien qu’ambitieux et politiquement mobilisateurs, manquent d’une base technique comparable aux plans de référence internationaux. Leurs promesses ne deviendront réalité que si elles s’appuient sur un PIMC (Plan Intégré à Moindre Coût) transparent, intégrant des critères explicites de fiabilité électrique et une cohérence fiscale crédible.
La rencontre de Milan en a donné la preuve éclatante : la diaspora sénégalaise est prête à s’engager sans réserve dans un projet national. Le Pastef, dont l’ADN est la participation collective, a su canaliser cette énergie patriotique vers une vision de souveraineté. Si cet élan est dirigé vers une grande infrastructure hydroélectrique — par exemple Hydroélectrique de la souveraineté d’au moins 3 000 MW, financée de façon endogène — le Sénégal pourra franchir un cap décisif.
Ainsi, le fleuve Sénégal, artère vitale du pays, pourrait devenir le pivot d’une véritable indépendance énergétique. À condition toutefois que Dakar engage une révision lucide et courageuse de son cadre stratégique, en transformant les ambitions politiques actuelles en une feuille de route techniquement solide, fiscalement viable et socialement inclusive. C’est à ce prix que l’hydroélectrique de la souveraineté pourra devenir non seulement une réalité, mais aussi le symbole d’un avenir énergétique émancipé.
Comme l’a démontré Cheikh Anta Diop, les peuples sénégalais portent une origine nilotique qui nous relie à l’histoire longue du Nil. Cette filiation n’est pas qu’un héritage symbolique : elle rappelle que notre destin s’inscrit dans la continuité des grandes civilisations africaines.
L’Éthiopie, seul pays du continent à n’avoir jamais été colonisé, a fait du barrage de la Renaissance un acte de souveraineté et de dignité. Pour Addis-Abeba, il ne s’agissait pas seulement de produire de l’électricité, mais de prouver au monde qu’un pays africain pouvait, par ses propres forces, ériger une infrastructure stratégique et affirmer son indépendance.
Pour le Sénégal, le parallèle est évident : si l’Éthiopie a construit le barrage de la Renaissance, nous devons ériger le barrage de la Souveraineté, de l’Émancipation. Une œuvre nationale, financée par notre peuple et notre diaspora, conçue dans une vision endogène et planifiée, assumée comme le symbole d’une indépendance retrouvée.
Il ne s’agit pas seulement d’énergie. Il s’agit d’une affirmation civilisationnelle : démontrer que nous sommes capables de bâtir, par nous-mêmes, les infrastructures de notre avenir. L’Hydroélectrique de la Souveraineté deviendrait ainsi à la fois une solution énergétique et le socle d’une souveraineté nationale durable, inscrivant le Sénégal dans la longue mémoire des résistances africaines et ouvrant la voie à une Afrique qui n’attend plus la permission d’être souveraine.
Dr Mamour Sop Ndiaye
Mamour Sop Ndiaye est enseignant-chercheur et chef du Département de Génie Électrique au CEFET/RJ (Brésil). Docteur en Ingénierie Électrique (UFRJ), il travaille depuis plus de 25 ans sur la Planification, Transition e Efficacité énergétique. Il est vice coordinateur de Pastef Brésil, Membre de Moncap et de Monaph et fondateur de l’ONG Wells of Change.