Beaucoup de modèles de développement ont été mis en place à la suite de changement de régimes politiques, des révolutions politico-culturelles etc… mais la situation économique de nos pays ne change pas. Force est de constater que nous n’avons pas encore connu de révolution scientifique significative dans les pays du sud. Nous pensons ainsi qu’un développement ressenti par les populations des pays du tiers-monde doit se faire à travers une grande révolution scientifique et technologique dont le succès se traduira par de profondes mutations économiques et socioculturelles de notre époque. Albert Einstein qualifie la science et la technologie de « recherches infatigables dans les ténèbres pleines, de pressentiments et de désirs passionnés de former les nouvelles valeurs de l’humanité ».
Il est évident de noter que l’émergence d’un pays se reflète à travers des outils indicateurs économiques pertinents tels que le PIB, le taux de croissance, le taux de chômage, l’indice de développement humain…En d’autres termes, les populations devraient avoir un accès facile à une éducation de qualité, à l’emploi bien rémunéré, à l’eau à l’énergie mais aussi à la santé à travers des plateformes médicales sophistiquées.
Des experts économistes du FMI s’étaient adonnés en 2021 à un intéressant exercice1 visant à lier la croissance économique à la production scientifique de pays avancés. En dehors de l’investissement, les experts nous relatent que la croissance économique augmente avec l’augmentation de la production scientifique : ‘une augmentation de 1% du stock de brevet pourrait accroitre de 0,04% la productivité d’un travailleur. Pour une élévation permanente de 10% du stock de la recherche nationale, la productivité devrait s’accroitre de 0,3%.
L’investissement est l’autre facteur déterminant pour mieux tirer profit de la recherche scientifique. En mars 2000, l’union européenne à travers ‘la stratégie de Lisbonne’ voulait faire de ses pays ‘l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique capable d’une croissance économique durable en 2010’. Ladite stratégie imposait à chacun de ses pays d’allouer 3% de son PIB au budget de la recherche. Cette ambitieuse stratégie a été un échec étant donné qu’un seul pays, la Suède avait respecté les exigences en consacrant 3,95 % de PIB au budget la recherche ; la France s’en suit avec 2,16% et l’Italie qui est à 1,1%. Au même moment, chez les grandes puissances, le Japon était à 3,15%, les USA étaient à 2,6%.
La technologie au chevet de l’industrialisation
Il a été remarqué avec évidence que le modèle économique le plus adapté pour nos pays est basé sur l’industrialisation. Les activités économiques du pays pourraient être subdivisées en secteurs industriels : le secteur primaire, le secteur secondaire, le secteur tertiaire et le secteur quaternaire. Le secteur primaire regroupe l’ensemble des activités d’exploitation des ressources naturelles : agriculture, pêche, mine, forêt, hydrocarbures et les activités connexes. Le secteur secondaire, regroupe l’ensemble des activités qui transforment les produits issus du secteur primaire : la transformation des matières premières (industries manufacturières, construction…). Le secteur tertiaire ou le secteur des services (commerce, administration, santé, enseignement…). Enfin le secteur quaternaire qu’on a récemment rajouté et qui regroupe les activités liées à l’information et à la communication (médias, presse, activités de recherches).
Si nous prenons le secteur primaire comme exemple, la modernisation de l’agriculture, de la pêche, de l’élevage doit se faire en utilisant des équipements innovants qui utilisent des technologies de pointes pour améliorer l’efficacité, la productivité et la sécurité des industries. Les bateaux en fibres de verre, de carbone, d’aramide ou en fibres de cellulose qui sont très légers et mécaniquement résistants seraient une solution novatrice pour l’industrie de la pêche. Dans les industries d’hydrocarbures, les scientifiques travaillent pour perpétuellement améliorer les procédés de raffinage (vapocraquage, reformage catalytique avec de nouveaux de types de catalyseurs …) afin d’optimiser les rendements de produits légers, de répondre aux exigences de qualité tout en minimisant l’énergie dépensée. Des procédés de haute valeur ajoutée sont en train d’être mis en place pour assurer la transformation de coupes pétrolières en produits pétrochimiques.
La conception et la fabrication d’équipements pour les unités de transformation nécessitent l’utilisation de technologies récentes qui font appel à des connaissances avancées en mécatronique, en mécanique et en matériaux pour supporter le secteur secondaire.
La digitalisation des commerces, des services administratifs est un défi majeur pour le secteur tertiaire.
Le secteur quaternaire correspond à ce qu’on appelle l’économie numérique. Cette nouvelle forme d’économie est porteuse croissance durable et constitut la 4e révolution économique.
En dehors de l’industrialisation, la recherche scientifique et l’innovation technologique est un pilier central dans les domaines du transport, de l’énergie, de la santé… Les nouvelles autorités étatiques du Sénégal à travers l’agenda national de la transformation (la vision ‘Sénégal 2050’) ont prévu d’allouer 1,5% du PIB au budget de la recherche. Même si cette valeur est faible, elles semblent être consciencieuses du rôle que pourrait jouer la recherche dans la transformation systématique de l’économie du pays. Cependant, la recherche scientifique doit être réorganisée et adaptée aux réalités socio-économiques du Pays.
Tracer une ligne de démarcation entre l’enseignement supérieur, la recherche scientifique et l’innovation technologique
L’enseignement supérieur et la recherche scientifique sont deux activités différentes, cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas de liens mais on doit faire la dissociation requise. Une partie de la recherche scientifique doit sans doute être menée à l’université mais une bonne partie doit s’explorer en dehors de ces dernières. Ceci nous emmène à mettre en exergue d’une part la recherche fondamentale ou la recherche pure qui consiste, à accroitre, à approfondir et à divulguer les connaissances empiriques sur lesquelles se reposent les fondements des technologies novatrices. D’autre part il y a la recherche appliquée qui doit se mener en dehors des universités. Elle se fait à travers la création d’unités ou de centres de recherches publiques ou privés en étroites collaboration avec les industries. L’orientation des axes de recherches dans ces derniers doit se baser sur les besoins spécifiques des industries. Ces structures doivent être sous la gouvernance du Conseil National de Recherche Scientifique largement évoqué dans le programme ‘Diomaye Président’. Elles seront pilotées par des chercheurs industriels et des ingénieurs de recherche et de développement (R&D) conscients des enjeux de nos industries nationales à court, moyen et long terme. En étroites collaboration avec les universités, ces structures doivent être en mesure de délivrer des projets dans des temps relativement courts afin de mieux prendre en charge l’urgence des industries. Si on prend l’exemple d’un centre de recherche sur les hydrocarbures puisqu’ils sont un enjeu majeur, une problématique complexe et d’une brulante actualité. Un des départements pourrait s’occuper d’étudier, d’améliorer et de moderniser les procédés de raffinage. Un autre département pourrait prendre en charge les procédés de transformation du gaz en électricité et de produits pétroliers en dérivés pétrochimiques.
Comme la recherche scientifique, on a la fâcheuse tendance à associer l’innovation technologique au monde universitaire ou de la recherche alors qu’elle est beaucoup étendue. L’innovation technologique doit être l’affaire des industries y compris les acteurs du secteur informel (mécaniciens, menuisiers, électriciens…)
Dans beaucoup de grandes puissances économiques, comme les Usa, le Japon, le Canada on remarque bien que le ministère de la recherche scientifique est séparé de celui de l’enseignement supérieur. Nous pensons par conviction que regrouper la recherche scientifique, l’enseignement supérieur et l’innovation technologique dans un même ministère comme c’est le cas au Sénégal empêche la recherche scientifique de jouer pleinement son rôle. Pour une recherche scientifique émancipée, efficace à accompagner l’industrialisation du pays selon la vision Sénégal 2050, elle doit être libérée des geôles de l’enseignement supérieur. Pour permettre aux petites et moyennes entreprises d’innover davantage et exploiter commercialement leurs idées, l’innovation technologique doit être associée aux ministères des industries.
La recherche scientifique tout comme la justice mérite aussi ses assises. Nous attendons de profondes réformes de ce secteur telles qu’elles ont été évoquées dans le programme Diomaye Président.
Mouhamadou SARR, Responsable laboratoire R&D Chimie industrielle