Rarement la presse sénégalaise aura parlé autant d’elle-même que depuis un an. Entre les polémiques liées à la pression fiscale, à la mise en conformité, à la suspension de certains contrats et conventions avec des entités publiques…elle a été obligée de se mettre à la page par la force des événements. Les relations avec le ministère de tutelle sont heurtées. En cela, rien de dramatique. En effet, les rapports entre médias et pouvoir sont naturellement conflictuels. Les contre-pouvoirs comme la presse, de par leur nature, ne peuvent pas plaire au pouvoir. Les intérêts sont antagoniques. D’un côté, on cherche toujours à mettre au grand jour ce qui est caché, de l’autre on cherche à protéger certaines choses. Mais il est important que chacun reste à sa place. L’un vis-à-vis de l’autre et non l’un à côté de l’autre. Le fameux distance et contact.
Le New deal auquel appelle de ses vœux Sadibou Marone, directeur Afrique de Reporters Sans Frontières, semble s’inscrire dans cet ordre d’idées. Il s’agit d’établir un nouveau contrat social et économique destiné à redresser la situation de la presse sénégalaise et qui se caractérisera par la prise d’engagements concrets et essentiels pour sa survie. Pour y parvenir, pas besoin de pousser le bouchon trop loin. Une victoire à la Pyrrhus ne profitera à personne, surtout pas au vainqueur. Le gouvernement a des prérogatives, la presse en a certaines aussi. S’assurer que chaque partie les exerce de façon juste et raisonnée est gage de respiration démocratique. Et puis, au fond, le pouvoir actuel et les acteurs des médias ne veulent-ils pas la même chose ? Assainir la presse et, partant, la rendre plus viable économiquement parlant ? En tout cas, ce fut la principale conclusion des dernières Assises des médias. Mais c’est connu, le changement bute toujours sur des résistances parce que quitter sa zone de confort pour un horizon incertain, même avec toutes les garanties du monde, est un risque que certains ne sont pas prêts à prendre. La peur de l’inconnu.
Et pourtant, il faut bien une thérapie de choc pour le grand valétudinaire qu’est devenue la presse sénégalaise. Elle qui fut fringante et respectée au-delà même de nos frontières, souffre du poids de 639 organes de presse dont la quasi-totalité ne respecte presque rien des dispositions du Code de la presse. La libéralisation médiatique à l’aube de l’an 2000 a participé à asseoir son image de vigie de la démocratie si bien que le rôle joué dans l’avènement de la première alternance politique au Sénégal lui a valu le costume de 4e pouvoir. Mais, cette libéralisation médiatique, salutaire au début, est devenue débridée et anarchique au point qu’un doyen de la presse et ancien formateur au Cesti l’a qualifiée de « sabar bu tass », un secteur où toutes les dérives sont permises aussi bien dans la pratique journalistique que dans le management des entreprises de presse.
De libéralisation à secteur libertaire sur fond de boom des réseaux sociaux. Cela a largement contribué à écorner la crédibilité de la presse sénégalaise. Le constat est implacable. Devant cette situation, il faut savoir prendre au sérieux les critiques récurrentes, considérer qu’elles contiennent une part de vérité et accepter une remise en cause pour regagner la confiance de l’opinion publique. De son côté, le ministère de la Communication, déterminé à nettoyer les écuries d’Augias, s’y est pris à sa manière. Les arguments mis sur la table, c’est-à-dire construire un écosystème médiatique dynamique, respectueux des droits fondamentaux et au service de l’intérêt général, sont recevables.
Mais l’approche dans la conduite de cette œuvre de salubrité médiatique est-elle vraiment la bonne ? La question se pose au regard des réactions des acteurs de la presse. Si la tutelle s’était promis de mettre en œuvre les réformes en cours avec discernement pour éviter tout risque de sur-régulation, les associations de presse estiment qu’il y est allé en solo sans concertation ni dialogue. Aller vers des consensus forts, cela ne devrait pas être la mer à boire pour deux entités qui clament toutes viser le même objectif. Le programme de restructuration financière initié par le ministère de la Communication et l’Adepme qui a permis de renflouer, samedi dernier, 12 entreprises de presse est le signe que, peut-être, le dialogue n’est pas rompu. elhadjibrahima.thiam@lesoleil.sn