L’homme parle agriculture, respire élevage et rêve de souveraineté alimentaire. Mabouba Diagne, ministre en charge de ce grand portefeuille, a une idée claire de sa feuille de route pour relever, peut-être, son dernier challenge « avant de mourir », selon ses termes. Son parcours, ses échecs, ses réussites, les péripéties de sa nomination…il raconte, dans cet entretien, un pan de sa vie à l’aube de la mise en œuvre de l’agenda « Sénégal 2050 ».
Entretien réalisé par Babacar Guèye DIOP et Oumar FÉDIOR
Qui est Mabouba Diagne ?
J’ai grandi dans la banlieue de Dakar, à Yeumbeul précisément. Mon père était chauffeur de taxi, polygame et issu d’une famille relativement nombreuse. Je suis un produit de l’école publique sénégalaise. En 1989, j’ai été lauréat au Concours général en Mathématiques. En 1990, après l’obtention de mon bac C, j’ai été orienté à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis où je faisais des études en Mathématiques appliquées et informatiques. Après l’obtention de ma Maîtrise et d’un Dea avec mention « Bien », j’ai eu la chance d’obtenir une bourse des Nations unies. J’ai voulu me reconvertir en finance. J’ai obtenu une bourse européenne et je suis allé en Allemagne pour faire un Master en Mathématiques financières et un Doctorat qui m’a ouvert une carrière dans toutes les banques du Sénégal. J’ai eu la chance d’être recruté dans la deuxième plus grande banque en Allemagne où j’ai passé six ans et demi jusqu’à ce que je devienne directeur, comme tout jeune banquier d’investissement. Ensuite, j’ai travaillé avec le Crédit suisse, la deuxième plus grande banque en Suisse. Je l’ai fait pendant sept ans. Mais, l’envie de revenir au Sénégal commençait à bouillonner en moi. Par la suite, j’ai rejoint Barclays Bank, la plus grande banque en Angleterre. Puis, je suis allé en Afrique du Sud où on m’avait nommé directeur régional. Là-bas, je m’occupais des gros clients. Après ce passage, je me suis reconverti dans la banque de développement et cap sur le Kenya où j’ai passé quatre années. De là, le Conseil d’administration m’a demandé d’aller à l’Île Maurice pour gérer tous les pays de l’océan Indien, les pays francophones et lusophones. À la fin de cette étape, le président Macky Sall et Amadou Hott, alors ministre de l’Économie, m’ont demandé de revenir en Afrique de l’Ouest pour être le vice-président de la Banque d’investissement et de développement de la Cedeao. Ce que j’ai fait pendant quatre ans. Avec l’avènement au pouvoir du président Bassirou Diomaye Diakhar Faye et de son Premier ministre, Ousmane Sonko, je suis devenu ministre de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de l’Élevage. Vous me demanderez ce qu’un banquier fait dans l’agriculture ? C’est parce qu’aujourd’hui, au Sénégal, je fais partie des trois plus gros producteurs de poulets de chair.
Comment le virus de l’entrepreneuriat vous a-t-il piqué ?
Vous savez, quand vous êtes issu d’une famille modeste, il y a l’instinct de survie qui vous habite et l’envie d’aider vos parents. J’ai démarré quand j’avais 14 ans. Chaque mois, il y avait une personne qui venait récupérer l’argent du loyer. Un jour, ma maman n’avait pas de quoi payer. Depuis, j’ai commencé à travailler. C’est cet instinct de sortir ma famille de la pauvreté qui m’a encouragé à bosser. J’ai toujours compris que l’école est un bon ascenseur social. Elle m’a permis de travailler à travers le monde pour gagner un peu d’argent et revenir chez moi et d’investir.
Avez-vous bénéficié, au cours de la mise en œuvre de vos projets, de l’appui de l’État ?
La première usine d’huile installée à Touba s’appelle Gade-gui agro et l’Adepme nous avait accompagné. Mais, cet appui est intervenu trois ans après la mise en œuvre du projet. D’ailleurs, cela me permet de lancer un appel aux jeunes entrepreneurs. Pour les trois premières années, il ne faut compter que sur soi. Sinon, vous allez essayer d’aller vers les structures de l’État pour demander de l’aide. Aussi, il faut, à chaque fois, établir des bilans, même si ce n’est pas toujours des bilans positifs. Mais, avoir la discipline de tenir une comptabilité, c’est important.
Est-ce que vous avez sollicité l’appui du Fonsis et du Fongip ?
Non.
Le président Bassirou Diomaye Faye dit vous avoir serré la main pour la première fois lors de la première réunion du Conseil des ministres. Racontez-nous les circonstances de votre nomination ?
Dans le réseau de l’Université de Saint-Louis, les gens me connaissent un peu. Dans le secteur de l’agriculture, les gens savent que la petite entreprise Gade-gui agro monte en puissance et certains ont essayé de savoir qui est derrière. En tant que vice-président de la Banque d’investissement et de développement de la Cedeao, j’ai accompagné le Sénégal pour 370 milliards de FCfa en financement en quatre ans. Tous ces aspects ont conduit, à mon avis, Diomaye et Sonko à porter leur choix sur moi. Et je n’ai aucun doute qu’ils veulent bien faire. Je le dis très honnêtement. Je ne les connaissais pas. J’ai une fois rencontré Sonko, il y a trois ans, lors d’un petit dîner de 30 ou 40 minutes. Après, on a perdu complètement le contact. Je ne fais pas partie de Pastef. Sonko et Diomaye ont envie de travailler. Je profite de l’occasion pour les remercier de m’avoir choisi. J’userai de toutes mes capacités intellectuelles, de mon carnet d’adresses et de mon savoir-faire pour leur rendre hommage et donner aux Sénégalais l’autosuffisance alimentaire. Avant de mourir, je voudrais vraiment réaliser cette ambition.
Comment s’est passé l’entretien jusqu’à votre nomination ?
Ils m’ont appelé, je n’ai pas décroché parce que je ne connaissais pas le numéro. Après, le Premier ministre m’a envoyé un sms pour m’indiquer que c’est lui. Il m’a demandé de le rappeler. Je me suis exécuté. Malheureusement, le lendemain où on devait se voir, je devais diriger un forum d’investissement de la Cedeao. Donc, c’est le surlendemain que je suis venu. Je leur ai envoyé une vidéo et mon Cv et cela a, peut-être, cristallisé leur attention. Mais, il y a aussi pas mal de Sénégalais qui leur parlaient de moi.
Vous arrivez dans un ministère où la souveraineté alimentaire a longtemps été une ambition, mais jamais réalisée. Sur quels leviers allez-vous vous appuyer pour la réussir ?
Vous savez, le Sénégal dépense 1070 milliards de FCfa pour importer des produits alimentaires. Sur ce montant, on importe 1,4 million de tonnes de riz, 860 000 tonnes de blé, 450 000 tonnes de maïs, plus de 200 000 tonnes de sucre, plus de 210 000 tonnes d’huile, plus de 347 000 tonnes de fruits et légumes. Notre pays débourse également 100 millions d’euros (65,5 milliards de FCfa) pour importer du lait. C’est l’équivalent de 300 millions de litres de lait et 55 000 vaches laitières avec 20 000 hectares d’ensilage. Le Sénégal, c’est 18 millions d’habitants, 14 régions, 46 départements, 557 communes, dont 525 de communes rurales. Pour ces communes rurales, 80 % nourrissent les Sénégalais. Si un ministre de l’Agriculture veut réussir, il doit impérativement aider les communes rurales. Malheureusement, aujourd’hui, l’agriculture familiale travaille trois mois, voire maximum quatre, dans l’année. Il va falloir, à mon avis, faire une transition entre l’agriculture familiale et l’agro-industrie. Les deux vont de pair.
Maintenant comment il faut faire ? Vous venez dans une commune et vous prenez 200 ha. Vous faites quatre pivots de 30 ha ainsi que des forages. Vous réalisez un bassin de rétention et on le pompe avec du solaire pour avoir de l’eau. Là, vous pourrez cultiver 12 mois sur 12. Lors de la saison des pluies, on laisse aux paysans le choix de cultiver à leur manière. À la période sèche, les bassins sont là. Après la saison des pluies, si toutes les infrastructures sont mises en place, on peut cultiver de l’oignon, de la carotte, de la pomme de terre, etc. Si on le fait, le pays prend son envol. Les gens diront que l’État n’a pas les moyens de créer des coopératives dans 557 communes, mais il faut d’abord commencer à en créer. À côté de ces coopératives agricoles communales, où on tire l’agriculture et l’élevage familial, on peut créer des fermes. Nos parents rassemblaient les excréments des moutons, des chevaux, des chèvres…qu’ils laisser composter. C’est le meilleur engrais ! Pendant l’hivernage, ils l’utilisaient dans les champs. Actuellement, il y a une manière industrielle de le faire. Alors, comment une grande ville comme Dakar, avec plus de 100 tonnes de déchets par jour, dont 50 % de déchets organiques, n’arrive-t-elle pas à compter une seule unité de compostage industrielle au Sénégal ?
En dehors de cet aspect, on aura des fermes agro-écologiques. On va mettre ensemble arboriculture, maraichage, culture des grandes céréales, élevage, pisciculture… J’ai cette vision de l’agriculture qui consiste à tirer le paysan vers le haut. Pour la mécanisation, ces 10 dernières années, l’État a dépensé plus de 200 milliards de FCfa. Allez dans le monde rural, l’objectif de 10 % n’est pas atteint. Ceux qui doivent recevoir le matériel ne le voient souvent pas. Vous avez vu ce que j’ai fait avec l’engrais cette année ?
C’est une première dans l’histoire du Sénégal. À côté de cet accompagnement en faveur de l’agriculture familiale, il y a maintenant les agro-industriels qui sont les accélérateurs. Mais, ce qui peut faire démarrer l’économie, créer de l’emploi, nourrir les populations, c’est l’agriculture familiale. Il faut l’encadrer, former ceux qui s’y activent et les financer. C’est la phase la plus difficile, c’est-à-dire refaire le Sénégalais. Il nous faut retrouver le culte du travail. Le « toog muy dox » et le « lidieunti xaliss » ne sont pas pérennes. Combien de personnes étaient riches et, du jour au lendemain, ont tout perdu ou presque ? Je n’ai pas besoin de les citer. Ils auront du mal à se relever parce qu’ils n’ont pas le sens du travail. Quand je perdais 250 millions de FCfa à Kaolack, avec mon statut de cadre international dans une banque britannique, la facilité voudrait que je laisse tout pour retourner en Angleterre et poursuivre tranquillement mes activités. J’ai un passeport britannique et j’avais tout pour rester là-bas. Mais, c’est nous qui allons construire ce pays. Chaque fois que je vois les pirogues avec des décès de nos enfants, on doit se dire qu’est-ce que moi, à mon niveau personnel, je devrais faire pour empêcher cela. En mathématiques, il y a ce qu’on appelle la loi des grands nombres. Un assemblage de petites choses peut former quelque chose de grand. Ne négligeons pas nos contributions individuelles.
Comment allez-vous faire pour la maîtrise de l’eau ?
Je vous ai parlé des 557 coopératives agricoles communales. J’ai commencé par les forages, c’est-à-dire quand on n’était pas près d’un point d’eau comme les fleuves et autres. Si vous êtes à côté des points d’eau, le problème est moins compliqué. Si tel n’est pas le cas, l’un de nos plus grands projets, ce sont les autoroutes de l’eau. Les Égyptiens l’ont fait, les Marocains aussi. La Tunisie est en train de le réaliser. Il n’y a aucune spéculation où l’Égypte ne fait pas partie du Top 3 ou Top 4 en matière de production. Pourtant, c’est un pays désertique. En un moment, ils ont mis leur argent là où se trouvent leurs priorités. Peut-être que les gouvernements africains doivent le faire. Les maigres ressources qu’ils ont, il faut les dépenser de manière optimale. Les autoroutes de l’eau, c’est prendre l’eau du lac de Guiers ou du fleuve Sénégal pour l’amener à Pékesse afin de servir Dakar et Touba. En construisant ces canaux d’eau, partout où ils passent, ils libèrent des espaces agricoles.
Que devient la Stratégie nationale d’autosuffisance alimentaire héritée de l’ancien régime ?
Vous savez, c’est difficile d’hériter d’une stratégie. Quand je suis venu, j’ai fait l’état des lieux. Les paysans n’ont pas accès aux bons intrants à temps ; il y avait une sous-mécanisation, etc. C’était mon point de départ. Mon ambition est que l’agriculteur vive de son métier. Pour cela, je crois aux coopératives. Regarder l’histoire du monde : l’Italie a démarré par des coopératives. Aujourd’hui, l’agro-industrie italienne pèse 50 milliards d’euros. Israël s’appuie sur ce levier des coopératives parce que cela permet de mutualiser les efforts. Maintenant, vous imaginez si on a une petite formation ! Une fois par semaine, on enseigne des choses aux paysans en wolof, pulaar, soninké, diola… Nous avons de brillants agriculteurs. Je touche du bois, on s’attend à des productions record en arachide cette année.
Est-ce que c’est grâce à l’impact des mesures que vous avez prises ?
L’engrais et les semences sont venus à temps, l’encadrement aussi. On a une pluie abondante. C’est cela qui fait marcher les cultures. Maintenant, on n’est pas à l’abri des aléas. On ne le souhaite pas, mais les criquets peuvent venir. Donc, il ne faut pas danser plus vite que la musique. Le gouvernement a mis 120 milliards de FCfa pour la campagne de production. C’est un record. Mais, le plus important est que cet argent est allé là où il devait être.
Pour le financement de la campagne de commercialisation agricole, pourquoi le gouvernement mise-t-il sur un pool bancaire ?
À chaque fois qu’on parle du financement du secteur agricole, on parle de La Banque agricole. On va commencer à changer de paradigme. Je dis qu’il y a 30 institutions financières au Sénégal et je leur demande, dans le cadre de la responsabilité sociétale des entreprises, que chacune mette 10 milliards de FCfa pour financer l’agriculture. Il faut que l’État contribue aussi. Le coût de l’énergie est cher pour les agriculteurs. Si on investit, chaque année ,50 milliards de FCfa pour solariser les stations de pompage, je peux prendre trois milliards dans le budget de mon ministère pour dire aux banques que je veux faire un dépôt. Je leur demande de financer l’agriculture et que le ministère de l’Agriculture absorbe les 10 % de pertes. Cela va créer un effet de levier. Je sais qu’en trois ans, le crédit est remboursé. Maintenant, on va faire une petite enquête pour savoir les personnes, sérieuses, à qui on va confier le projet au niveau local. L’agriculteur est en autoconsommation en électricité. Vous imaginez combien on impacte sa productivité ?
Parlons, à présent, des hangars de stockage. Le Sénégal importe 347 000 tonnes de fruits et légumes pour un montant de 65 milliards de FCfa. Ces 10 dernières années, ce sont 500 milliards de FCfa que notre pays a dépensés pour l’importation de fruits et légumes. C’est là que se trouve l’absurdité. Avec 30 milliards de FCfa d’investissement, on n’importe plus de pomme de terre, ni de carotte, ni d’oignon.
Où sont les milliardaires, les épargnants ? Chaque Sénégalais a 1000 FCfa non ?
Quand on avait besoin de 1000 milliards pour la Covid-19, on les a mobilisés. Et là, nous n’avons même pas besoin de 45 milliards.
Maintenant, en quoi consistent ces hangars ? Il s’agit de mettre en place un partenariat public-privé. Et je propose à l’État d’aller voir ses partenaires à propos des dons de la Chine, de la Fondation Bill Gates, du Mastercard Foundation ou de son budget. On a juste besoin de 5 %. Ensuite, je dirai aux banques de me financer. Et nous absorberons les premières pertes issues des 5 %. Pour les investisseurs privés, je demanderai 15 %. Et ce pourcentage, associé au crédit/export, va donner la possibilité d’accéder aux crédits/export à 85 %. En outre, j’appliquerai la diplomatie économique. J’irai en Chine pour demander qu’on me construise le hangar. Ensuite, en Hollande qui a les meilleurs appareils de ventilation. Puis, je proposerai un projet de loi pour exiger que tous les produits agricoles passent d’abord dans les hangars parce qu’on ne peut pas permettre qu’ils aillent directement aux consommateurs sans, au préalable, un contrôle de qualité, des mesures de calibrage, des normes d’hygiène. En Europe, quand vous entrez dans les supermarchés, les légumes sont prêts à la consommation. Or, ici, quand vous allez dans les marchés, la manière dont les légumes sont nettoyés, ça ne donne pas envie de voir. Maintenant, la production nationale passera dans les hangars de stockage. Comme ça, tout sera normé. Ainsi, sur toute la chaîne de valeur, on crée de l’emploi. Il y aura un droit de passage qui sera payé pour rembourser les prêts. Au bout de 10 ans, le remboursement sera fait.
À propos de la mécanisation, l’État a dépensé, ces 10 dernières années, plus de 200 milliards de FCfa. Cela a servi à quoi ? Il faudra créer des Gie de mécanisation et laisser les multinationales apporter leurs tracteurs. On demandera ensuite aux agriculteurs de payer 25 % et l’État de se charger des 75 %. Ainsi, le problème sera réglé. Tant que le service agricole n’est pas rendu, je ne payerai pas.
Y a-t-il une possibilité de perdre de l’argent ? La finalité, n’est-ce pas c’est de produire ? Un tracteur dure 25 ans s’il est bien entretenu. En Europe, les agriculteurs gardent leurs tracteurs pendant longtemps. Il y a eu des programmes sous le régime passé et que l’État a intégralement mis en œuvre en les payant en trois phases. Et la deuxième phase n’est même pas encore achevée. Le programme Intermaq, c’est 89 milliards de FCfa au temps de l’ancien régime. Avec ce montant, on pouvait en sortir 30 milliards de FCfa pour faire une usine. Sismar pouvait faire le travail avec 10 milliards de FCfa. J’ai trouvé ces paradoxes sur place et j’essaie de rectifier. Comme ça, on va valoriser l’industrie nationale. Ce sont ces genres de paradoxes que nous avons trouvés dès notre installation.
Quelle est la place du secteur primaire dans l’agenda « Sénégal 2050 » ?
Le secteur primaire va jouer un rôle très important. L’agriculture et l’élevage y occuperont une place extrêmement importante, de même que la formation, la formalisation, le financement et la modernisation de l’agriculture, à travers les coopératives agricoles et/ou intercommunales pour mutualiser, de même que les grands périmètres agricoles.
Pour redémarrer la machine, il faut de l’agriculture familiale, mais pour accélérer la cadence, on fait appel aux agro-industriels. Les deux peuvent aller ensemble. Au Zimbabwe, les gros agro-industriels créent un système dénommé « outgrower » : chacun cultive pour lui-même et les agro-industriels achètent la production ; ce que je n’ai pas compris avec la Css (Compagnie sucrière sénégalaise) qui est entouré de paysans. Pourquoi cette entreprise s’octroie à elle seule la culture de la canne à sucre ? Elle peut dire aux paysans de faire de même et ensuite elle achète la production. Je ne comprends pas pourquoi on va importer 210 000 tonnes de sucre.
Dans le secteur de l’élevage, il y a eu des programmes d’amélioration des races qui ont englouti beaucoup de milliards, mais n’ont jamais connu de succès. Comment comptez-vous œuvrer pour améliorer les races ?
C’est une très bonne question. Quand je prends un programme de l’Association nationale pour l’intensification de la production laitière au Sénégal (Anipl), c’est une excellente approche. On a juste besoin de le rectifier pour rajouter la composante culture fourragère dont vous avez tout à l’heure parlé. Aujourd’hui, pour qu’une vache produise 20 à 25 litres de lait par jour, elle a besoin de consommer 25 kilos d’ensilage. Or, nous importons 100 millions d’euros de lait, c’est l’équivalent de trois millions de litres, soit 25 000 vaches laitières. Pour nourrir 25 000 vaches laitières, nous avons besoin d’à peu près 20 000 hectares d’ensilage. C’est la raison pour laquelle il nous faut absolument accompagner le petit éleveur, le moyen et le grand avec des cultures fourragères. Et ça, c’est un « it must ».
Comment votre ministère compte-t-il solutionner tous ces défis ?
On était un peu préoccupé par cette histoire de revoir les comptes publics, mais j’ai déjà finalisé ma stratégie. Concernant mon département, nous avons élaboré 30 programmes, 30 conventions de partenariats, 25 programmes sur le riz, le maïs, bref, sur toutes les denrées alimentaires que nous importons. Je vais tout faire pour interdire les exportations brutes.
Je veux que nos produits soient transformés. Pour ce qui concerne l’arachide, par exemple, on peut extraire l’huile ; ce qui veut dire la création de beaucoup d’emplois. Bientôt, je sortirai un arrêté pour interdire les exportations.
Quelle place devrait occuper l’Isra dans cette nouvelle dynamique ?
L’Isra sera central dans ce que nous faisons. Avant même de parler du changement climatique, saviez-vous que le marché global des semences avoisine les 50 milliards de dollars ? D’ici à 2030, il sera à 100 milliards de dollars. Pourquoi les Africains ne sont-ils pas dedans ? La souveraineté alimentaire commence par la souveraineté en semences certifiées. Nous sommes revenus de Chine avec le président de la République. Nous avons vu des rendements en riz incroyables, 12,9 tonnes à l’hectare. Au Sénégal, avec cinq tonnes à l’hectare, les gens jubilent. Toujours en Chine, il y a des rendements d’arachide qui dépassent les 10 tonnes à l’hectare. Au Sénégal, avec trois tonnes à l’hectare, les gens sont contents. Donc, pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, il faut jouer sur les rendements, la production, la maîtrise de l’eau, la qualité des sols, la formation des agriculteurs… À Vélingara, un vieil homme a produit 40 tonnes de coton avec peu de moyens. La production du coton est importante puisqu’elle touche la santé médicale, l’industrie textile, sans oublier les tourtereaux de coton, l’huile de coton et l’aliment de bétail. Pour le maïs, il y a des variétés avec lesquelles on peut produire 10 tonnes à l’hectare. Or, nous importons 450 000 tonnes de maïs. C’est 90 000 hectares. Avec ça, on peut créer 90 000 emplois. Aussi, il faut huit millions d’arbres pour que l’on n’importe plus l’huile de palme. Chaque arbre produit 25 litres d’huile.
Quid du foncier ?
Au début, je me disais que l’État doit donner les terres. Par expérience, j’ai fini par comprendre que je dois les acheter et commencer mon business. Pour éviter l’histoire de Babacar Ngom (Ndlr : affaire Ndingler), je t’appelle dans un hôtel, je te donne le chèque et les papiers, puis je prends une photo. Je ne me suis pas arrêté là ; j’organise une délibération municipale réunissant les conseillers, une cinquantaine de chefs de village, dans une grande cérémonie en prenant des vidéos. À 100 %, tout le monde est d’accord.
Vous savez, au Sénégal, l’élevage extensif nourrit les Sénégalais parce que grâce à elle, le kilo de viande peut être vendu à 3000 FCfa. Donc, ces deux types d’élevage intensif et extensif doivent cohabiter.