Une génération. Une nouvelle, d’Africains, qui n’a aucun complexe à se dire libérée des religions qu’elle qualifie d’importées, d’imposées. Leur discours tourne autour des ancêtres, de l’Afrique, du Panafricanisme. De cette génération, un ceddo. Malick Diouf, artiste, entrepreneur et promoteur de festival…
« Est-ce qu’en raison de l’accident géographique qui détermine notre lieu de naissance et la religion dans laquelle nous sommes nés, nous devons en déduire que nous sommes dans la bonne religion ? D’autant plus que si nous étions nés à La Mecque, on serait probablement musulman, à Rome, chrétien ? » Ce sont ces phrases-là, rencontrées à un moment de la vie, qui ont le pouvoir de changer l’orientation d’une existence. Malick Diouf est tombé dessus ! Et pourtant, elles lui viennent d’un livre distribué par des Témoins de Jéhovah. La phrase, le livre qui la comportait et l’idéologie qui les véhiculait n’ont pas atteint leur but. Malick a été imperméable à l’évangélisation et aujourd’hui, le voilà qui n’attend aucun Royaume des Cieux. Le jeune homme qu’on tentait d’évangéliser est devenu un crâne rasé, une barbe touffue, une voix qui affirme sans trembler : « Je ne suis pas obligé d’avoir une religion ! »
Que son prénom Malick, de consonance arabo-musulmane, ne trompe nul aussi. M. Diouf se réclame « ceddo ». C’est-à-dire, selon ce qu’il en dit, « quelqu’un qui honore la mémoire de ses ancêtres, qui suit le chemin tracé par ses ancêtres, avant qu’ils ne soient brutalisés et emmenés vers autre chose ». Autre chose ? Entendre les religions révélées, si, sous-entendu d’ailleurs, il y avait. L’ancien rappeur d’en dire plus sur son profil : « Je suis Malick Diouf, plus connu sous le nom de Mac Mic. Je suis entrepreneur, artiste -quand je dis artiste, je suis dans le domaine du cinéma particulièrement et dans le théâtre- et promoteur de festival ». Actif, Malick Diouf l’est dans pas mal de choses autres : écriture, coaching en développement personnel, pour ne citer que celles-là. Aussi, y a-t-il cet aspect sur lequel il insiste : M. Diouf se dit « panafricaniste convaincu » ! Et on ne saurait comprendre le ceddo, affranchi des religions abrahamiques qu’il est devenu, en occultant son panafricanisme. « Je suis devenu ceddo par ma fibre panafricaine. En tant qu’Africain qui apprend l’histoire et tout ce qu’a vécu l’Afrique, et ce qu’elle vit encore, tu te rends compte que tu n’es pas né ici pour rien ». Du hip-hop qu’il a pratiqué quinze ans plus tôt (par opposition à l’injustice autour de lui, précise-t-il) aux lectures (Nations nègres et cultures de Cheikh Anta Diop, par exemple) en passant par les réminiscences des cours d’Histoire parlant de la traite négrière comme transaharienne, les influences sont nombreuses. Et nombreuses sont les références faites à la religion. Sous forme de questions qui ne demandent pas de réponses, mais qui sont l’exposé de son crédo. « Qu’est-ce que les religions ont apporté à l’Afrique ? Nous ont-elles permis de nous développer ou pas ? Nous ont-elles permis d’avoir un bon niveau de conscience ou pas ? Nous ont-elles permis d’être assez prêts de de combattre pour l’Afrique et libérer définitivement le continent ou pas ? Qu’est-ce qu’elles ont apporté ? Est-ce que l’humain africain s’est amélioré avec les religions ou pas ? » Mille et une questions qui, encore, n’attendent pas de réponses, mais qui témoignent du fait que Malick Diouf est de cette génération africaine qui émerge et se fait place dans le débat continental, prônant un retour vers « les ancêtres ».
Les « ancêtres méritants »
Et ça, il y croit fort. Il pourrait passer tout son temps débattant de ce retour nécessaire aux sources, avec des arguments qu’on lui refuserait difficilement. C’est, du moins, c’est qu’a constaté de lui Thialis Lèye, un artiste plasticien, de loin plus âgé que lui, avec qui il s’est lié d’amitié, et qui lui témoigne une conviction forte en ce qui concerne sa position vis-à-vis des religions. Au service d’autrui, respectueux, intelligent et grand débatteur, têtu dans ses convictions. C’est ça Mic. C’est ce qu’en dit M. Lèye.
Pour Malick, les ancêtres ont produit une sagesse, une vision du monde, une spiritualité, « qui sont encore là, présentes chez nous ». Impensable alors pour lui, d’aller s’abreuver à une autre source. Impensable, aussi pourtant, de ne pas s’inspirer de ce que ces autres sources ont de meilleur. On entend alors Malick Diouf réclamer tout haut : « Cheikh Ibrahim Niass, c’est mon ancêtre. Nous, dans la philosophie ceddo, avons ce qu’on appelle les ancêtres méritants, et les religions révélées devraient apprendre cela (il le dit non sans humour, souriant…). Un ancêtre méritant, en est un qui a vécu au service de la société, qui a rendu service à sa société, qui a préservé les valeurs. Et quand cet ancêtre quitte le monde des vivants, il devient un ancêtre méritant et pour moi, Cheikh Ibrahima Niass en est un. Il s’est battu pour ses convictions. On peut combattre la conviction de quelqu’un, on peut mettre en question la conviction de quelqu’un, mais le combat que quelqu’un a mené pour sa conviction, quelle que soit la nature de cette dernière, est un combat noble ». Le féru de connaissance, tel que décrit par Thialis Lèye, citera en outre Cheikh Ibrahima Niass comme une référence incontournable en ce qui concerne la profondeur de sa science. Le leadership de Cheikh Ahmadou Bamba aussi l’inspire ainsi que d’autres religieux, dans d’autres domaines. N’empêche, Malick Diouf reste la tête dure qu’a décrite M. Lèye. Car, concernant les religions, Mic considère qu’« au niveau personnel, chacun peut dire ce qu’il y gagne. Mais au niveau global, je n’ai pas vu quelque chose qu’on y a gagné ». Ainsi, son ultime conviction « est que tous les Africains devraient chercher à redevenir Africains de par la conviction spirituelle ». Un « tous » utopique emploie-t-il, sûrement, parce que lui-même est convaincu « qu’on n’arrivera jamais à un monde où tout le monde croira à la même chose. D’ailleurs, ce n’est pas un monde intéressant. Autant aussi, je dis ça concernant le Sénégal : on n’arrivera pas à un Sénégal où tout le monde croira à la même chose ». Seulement, toujours dans son optique, l’idée précédente ne saurait être le prétexte d’un non-débat. Le débat se doit d’être, parce qu’« un peuple ne peut pas tourner le dos à sa raison, à sa réflexion, à son esprit critique. Ça, c’est un danger ». Et déjà, le débat se pose : au niveau de l’Université Cheikh Anta Diop où, à l’occasion, quelques amis ceddo-panafricanistes et lui s’adonnent avec enthousiasme à des débats touchant aux religions, exposant leur position radicale mais qui ne se veut ni offensante encore moins violente ou irrespectueuse. Sans esprit d’évangélisation, mais juste dans une logique de « partage d’informations ».
L’évangélisation se fait ailleurs, à travers l’évènement Mosaan, un concours de beauté annuel, qui prime la plus belle Sérère et partant des critères de beauté endogènes. La Sérère n’étant qu’un prétexte pour désigner l’Africaine. Dans l’esprit de Mac Mic, c’est une manière de dire stop aux beautés feintes, artificielles, à la tyrannie de la poupée Barbie.
« Rester dans l’Histoire comme une mémoire qui inspire »
C’est dans une mezzanine, à Gueule Tapée, que vit le mec. L’endroit n’a pas de décor particulier, si ce n’est deux petites bibliothèques. Le livre noir du communisme ici, le « Ménon » de Platon là, « Le Capital » aussi, « J’apprends le wolof », « Afrotopia », « Géopolitique de la culture »… On peut y apercevoir des dictionnaires, des manuels pour apprendre l’anglais. L’endroit n’a pas de décor particulier, si ce n’est quelques toiles de villages et de l’Afrique. L’endroit n’a pas de décor particulier, si ce n’est trois lampes-tempête qui n’éclairent rien. Le lieu n’a pas de décor particulier, si ce n’est un ring light et une autre lampe jaune que Mac Mic dirige vers sa face. Rien de particulier : un ordinateur. Pas de télévision : épuré, l’endroit. Aussi épuré que ce wolof qu’égrène Malick sur une chanson en sérère.
Pas de télévision, mais, un téléphone. Il est en live sur TikTok. Il ne mâche pas les mots. Les maux : ces Arabes de musulmans, ces Européens de chrétiens, ces peurs qui lestent les jeunes d’Afrique dans l’inaction. Il se lâche. « Je n’attends pas de récompense après la mort », l’entend-on crier. Non, Malick Diouf n’est pas du genre à crier. C’est la raucité de sa voix qui crée une impression de cri. Mac Mic revendique fort sur la toile le fond de sa pensée. Rien à faire du paradis, rien à faire de l’enfer. Et au cas où il lui serait proposé un paradis avec des ouroul aynis à teint clair, il y aura du boucan aux cieux. Les Chinois, les autres qui pourraient exporter Bouddha, ne sont pas en reste.
Ses followers lui écrivent, lui parlent. La vie, la mort, le paradis, l’enfer ? Peu importe, Malick Diouf ne cherche qu’à « rester dans l’Histoire comme une mémoire qui inspire ». Et, « c’est ça la récompense » ! Il y a pourtant du Róog dans ce qu’il dit : Malick Diouf n’est donc pas athée… il ne croit simplement pas aux Dieux des religions qu’il dit imposées. La peur ? Malick Diouf ne sait pas ce que c’est ! Le débat ? C’est ce qu’il cherche à susciter ! La vérité ? C’est une question existentielle. Dans sa vérité, il n’y a pas de place pour certains calculs : « soit on choisit les meilleures conséquences au risque de laisser tomber la vérité, soit on choisit la vérité avec le risque de courir les conséquences. Je suis plus concentré sur ce que je pense être la vérité ». Justice et vérité apparaissent alors comme les deux sources qui nourrissent toute sa vie. Que n’a-t-il pas subi d’injustice, plus jeune, entre villages et quartiers ! Tout ça a sans doute déteint sur sa personnalité et ses positions d’adulte. Désormais, c’est une vie d’activiste et d’artiste. Avec le recul, les choses s’éclairent d’ailleurs.
« Je n’y ai pas réfléchi avant de faire le film mais, par exemple, mon premier court-métrage s’appelle Dëgg et c’est une interrogation sur la notion de vérité ». Mezzanine, bibliothèques, débats théologiques… « Lui, a fait Philosophie à la fac », pourrait-on se dire. Et, non ! « Je n’ai jamais fait un cours de philosophie, puisque j’étais en série technique. Mais, que je m’intéresse à la philosophie prouve qu’il y a une certaine volonté de trouver la lumière, la vérité ». Lumière et vérité, défend-il. Ténèbres et erreurs, lui oppose l’autre partie. Des couples de concepts se heurtent alors, et, ça ne manque pas d’impacter sur la vie sociale du Monsieur, sur ses relations personnelles et celles professionnelles. Anyway…
Mac Mic a un bijou à l’oreille et des bracelets aux poignets. Les couleurs vives de ses bracelets contrastent avec son éclatante noirceur. Et des chaînes, plus que des bracelets, croit l’activiste, sont enroulées autour de l’esprit des Africains. « Ils doivent avoir le courage de se libérer, mentalement. Combattre la colonisation, c’est noble, c’est normal, ce n’est pas un problème. Mais, combattre l’aliénation religieuse est un problème ». Et tel est l’un des combats de celui qui affirme que « les religions sont une arnaque », qu’elles « font partie de ce qui bloque l’Afrique, fondamentalement ». Mais, précision : aucun problème avec les courants et familles religieux du pays ! M. Diouf trouve au contraire qu’« il y a une endogénéisation qui a été faite des religions et qui même a contribué à créer des dynamiques pour le développement de l’Afrique ». Et au cas où un esprit plus illuminé te convaincrait de quelconques erreurs dans tes prises de position, Malick ? « Si un jour on me convainc que j’ai totalement tort, je serai d’accord et je n’aurai pas de regret », rassure-t-il.
Moussa SECK