Au cœur de Kaolack, au Sénégal, Médina Baye n’est pas une ville comme les autres. Elle s’éveille au rythme des prières, aux chants des talibés qui s’élèvent à l’aube, et chaque souffle de vent semble murmurer La ilaha illa Allah. Dans ces ruelles baignées de lumière et d’encens, l’histoire de l’Afrique se raconte à voix basse, mais avec éclat.
L’enfant du Rip
Né en 1900 à Taïba Niassène, Ibrahima Niass grandit dans une maison où les livres étaient des trésors et le silence, un enseignement. Son père, le vénéré Cheikh Abdoulaye Niass, érudit respecté, lui transmit la passion du savoir dès son plus jeune âge.
On raconte qu’enfant, Ibrahima passait des heures à mémoriser le Coran tout en observant les étoiles et résolvant des calculs complexes. À 18 ans, il rédigea Rûh al-Adab, un traité qui révélait déjà un maître rare, capable d’allier rigueur, clarté et spiritualité profonde.
La déferlante spirituelle
En 1929, après la mort de son père, Baye Niass fit une annonce qui bouleversa sa vie et celle de milliers de disciples : il se proclama dépositaire de la Fayda Tijaniyya, la « déferlante spirituelle » promise par Cheikh Ahmad Tijani. Certains doutèrent, d’autres furent fascinés. Mais il n’eut besoin de convaincre personne par la force : sa lumière intérieure et sa vision claire suffirent.
En 1930, il fonda Médina Baye, un lieu qui devint rapidement bien plus qu’un centre religieux : une université à ciel ouvert. Des étudiants venus du Nigeria, du Ghana, du Niger et de la Côte d’Ivoire affluaient, mêlant accents et cultures dans une symphonie vivante. Les rues et les mosquées résonnaient de discussions, de prières et de savoir, et chaque coin de la ville incarnait la spiritualité au quotidien.
L’homme qui reliait les mondes
Baye Niass n’était pas un maître cloîtré dans sa zaouïa. Il voyageait sans cesse, construisant des ponts entre peuples et cultures. Le Caire, La Mecque, Bagdad, Lagos, New York… Il rencontra des figures historiques telles que Gamal Abdel Nasser, Kwame Nkrumah et le roi Fayçal.
En 1960, il accède à la fonction de membre au sein du Conseil supérieur de l’Organisation du Bien-être islamique au Caire, et est également nommé membre de l’Académie de Recherches de l’Université d’Al-Azhar, ainsi que de la communauté des érudits en islamologie et du Conseil islamique supérieur de l’Algérie. Sa reconnaissance internationale s’affirme davantage en 1962, lorsqu’il est élu vice-président du Congrès mondial islamique à Karachi, et devient membre de la Conférence générale de l’Académie de recherches islamiques au Caire.
On raconte que, partout où il passait, sa voix guidait les fidèles et inspirait les cœurs. À Lagos, avant l’aube, des disciples s’entassaient dans les mosquées pour entendre ses enseignements, et chacun repartait avec le sentiment d’avoir effleuré la lumière.
Un héritage aussi vaste que le ciel
Sa plume fut aussi prolifique que son enseignement était vibrant. Rûh al-Adab, Taysîr al-Wusûl, Kâshif al-Ilbâs, et des centaines de qasidas et zikr prolongèrent sa pensée. Mais son véritable héritage ne réside pas seulement dans ses écrits : il est dans cette foi enracinée, tolérante et universelle, transmise à des générations de disciples et toujours vivante dans des milliers de daaras à travers le monde.
Le 26 juillet 1975, Baye Niass s’éteignit à Londres. Sa dépouille fut rapatrié à Médina Baye, où dignitaires, chefs d’État et fidèles venus des quatre coins du globe rendirent un dernier hommage. L’Afrique perdit un maître, mais le monde reçut une école spirituelle ouverte sur l’avenir.
Une pensée pour l’éternité
« La science sans spiritualité est aveugle. La spiritualité sans science est muette. » — Baye Niass
Aujourd’hui encore, de Lagos à Chicago, de Nouakchott à Freetown, son enseignement résonne. Médina Baye demeure un phare, et Baye Niass, souffle vivant dans chaque ruelle et chaque prière, rappelle que la lumière véritable naît de l’alliance du savoir et de la foi, et que La ilaha illa Allah est la vérité qui traverse le temps et les frontières.
Abdoulaye Sy