«La perfection est atteinte, non pas quand il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer ». Salvador Dalí disait vrai. Il n’y a qu’à voir le bel œuvre de Lebergerdel’îledenGor : rien n’y est à jeter. Sa toute dernière toile (en cours), « Hommage aux victimes des bombardements de Gaza », a déjà tout d’une œuvre parfaite. Ce chant de cygne de l’artiste en faveur du peuple palestinien prouve sa fibre intégralement humaniste, engagée, charitable. Abdoulaye Diallo est un homme d’action, d’initiatives, gardant toujours, du reste, le geste seigneurial. Doomu daara et élève prodige, c’est quasi naturellement que le natif de la Médina (Rue marché Cheikh Madické) passe Hypokhâgne et Khâgne pour intégrer la prestigieuse Centrale de Paris d’où il sortira ingénieur des télécommunications. Rentré au pays, il sera notamment le patron national du puissant ITT (International Telephone et Telegraph) et fondera la première entreprise privée des télécoms. C’est le câblage sous-marin qui le mènera d’ailleurs à l’île de Ngor, « son » fief.
Cette vie de sciences et la parenthèse de pacha n’auront jamais réussi à ni le corrompre par les gens secrets, ni à l’insensibiliser de sa morale sociale. Sa foi et ses augustes vertus, ancrées en lui, vont le mener aux douces faveurs des arts. En 2011, à l’âge de retraite, il devient artiste-peintre après que Kré Mbaye lui ait passé son couteau à gratter et, symboliquement, le fanion du génie. En 13 ans de pratique picturale, Lebergerdel’îledenGor signera près de 400 œuvres. Toutes ont toujours répondu à sa fondamentale préoccupation, comment établir un meilleur monde et tisser des liens en agréable urbanité. « Que faire dans ce monde s’il nous est difficile de comprendre que chaque humain a intérêt au bonheur des autres et à la construction d’une société de confiance et d’entraide ? », dit-il. C’est ainsi que chaque visiteur de sa maison sur l’île de Ngor et ceux qui le croisaient repartaient chaque fois l’esprit et le cœur nourris. Cette maison qui n’en était qu’une avant d’être son écrin, d’abord appelée « La butte aux oiseaux », puis « L’esprit des lieux » (nom inspiré de Youssou Ndour qui lui dit un jour « Grand, yaw yaa’y rabu île bi ») et enfin Penc 1.9 depuis juillet 2021. Pourquoi Penc 1.9 ? Lebergerdel’îledenGor voulait un espace libre de création, de diffusions intellectuelles et de convergence. Aussi, un musée de son œuvre dans un contexte où les pièces des artistes sont vandalisées, disparues ou détenues par prestige par des collectionneurs de tout acabit.
L’art rupestre duquel il s’inspirait était une évidence, consistant à laisser des traces aux futures générations. Le rupestre qui lui ouvrira les portes du Musée de l’Homme de Paris à travers sa toile « Hommage à Leo Frobenius 2 », où il est le premier artiste africain à exposer. Pour Penc 1.9, le 1 répond de l’unité. La cohésion, mais surtout l’Unicité. Pour Abdoulaye Diallo, passionné de numérologie, Allah reste le Seul Créateur qui inspire toute œuvre d’art exclusive. Le . est un symbole de liaison directe avant le 9 qui renvoie à l’humanité, l’accomplissement, le sens de l’intégrité, l’amour et l’universel. 9 aussi, car il revêtait ses toiles de 9 couches en laissant intervenir les éléments de la Nature ; évoquant les 9 mois de grossesse et le ventre de la mère, exceptionnelle fabrique divine. Toutes choses qui font parfaitement son thème de prédilection, cœur de son identité d’artiste : « Quelle humanité pour demain ? ». Avec ce thème, Abdoulaye Diallo n’a fait que prêter à Lebergerdel’îledenGor ses convictions. Le plasticien devait porter le message d’un monde plus bienveillant, au mieux sympathique. Cet homme majestueux a disparu il y a aujourd’hui une semaine, jeudi 25 septembre, à trois mois des 73 ans qu’il allait avoir le 25 décembre. L’œuvre de Lebergerdel’îledenGor occupe un vaste rayon dans la galerie de notre patrimoine matériel et immatériel avec une esthétique à trois ampleurs : un lexique de sa vaste culture livresque et de philosophes des mondes, un mix pictural par sa science d’ingénieur, ainsi que son pinceau prodigieux guidé par spiritualité.
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