Directeur général de la Caisse des Dépôts et Consignations (Cdc) du Sénégal, Fadilou Keita dresse un bilan sans détour de ses 15 premiers mois à la tête de l’institution. Entre réformes de gouvernance, relance de projets stratégiques, création de filiales et plaidoyer pour une meilleure mobilisation des ressources nationales, il détaille une vision ambitieuse pour repositionner la Cdc comme un acteur clé du développement territorial et économique. En acteur politique engagé, le directeur de campagne d’Ousmane Sonko lors des dernières élections législatives, évoque également les questions de l’heure.
Il y a deux jours, la Caisse des dépôts et consignations a procédé à la remise des premières parcelles dans le cadre d’un projet foncier majeur. Pourtant, ce projet a longtemps été bloqué. Comment êtes-vous parvenu à le relancer ?
J’ai eu l’avantage de participer dès le lancement de ce projet, annoncé en 2010, avec l’acquisition d’un terrain d’une superficie de 150 hectares. Beaucoup d’événements se sont produits par la suite. Le projet a été segmenté en plusieurs opérations. Dans la première phase, 50 hectares ont été identifiés, eux-mêmes subdivisés en deux parties : l’une dédiée à la construction de logements sociaux, l’autre à la vente de terrains viabilisés. À l’origine, il était question de travailler sur une assiette de 100 hectares. Il y avait également un TNI (Ndlr Terrain non immatriculé) de 4 hectares que la Cdc devait récupérer. Mais finalement, seuls deux hectares ont pu être récupérés. Par ailleurs, la Cdc avait confié un mandat de commercialisation de 100 hectares à une société privée très connue dans le domaine du développement immobilier. A l’époque déjà, en tant que directeur du développement et des partenariats à la Compagnie Générale Immobilière du Sahel (filiale de la Cdc), j’ai constaté que cette convention léserait la Cdc.

J’avais alors rédigé une note que j’ai remise au Dg de l’époque, ce qui a conduit à une réunion avec les parties prenantes. Cette rencontre avait permis de restructurer le projet, en réduisant la surface cédée à cette société de 100 à 30 hectares. Nous y avons ajouté 15 hectares récemment restitués. Ce qu’il faut retenir, c’est que des Sénégalais avaient immobilisé leurs ressources depuis plus de dix ans. En restructurant le projet, en réorganisant les sociétés impliquées et en augmentant la part et la présence de la Cdc dans ces entités, nous avons réussi à reprendre le contrôle. Nous avons également travaillé étroitement avec les services centraux du cadastre et les autorités compétentes, qui nous ont facilité l’obtention de l’autorisation de lotir les 150 hectares. De plus, nous avons obtenu rapidement le certificat de conformité, indispensable à la délivrance des titres fonciers. Cela nous a permis de lancer la restructuration globale, qui porte aujourd’hui sur 4.600 parcelles. Le premier lot comprend 1.406 parcelles déjà prêtes à être attribuées.
Cela peut être perçu comme un des succès majeurs depuis votre arrivée. Après 15 mois à la tête de la Cdc, quel bilan d’étape pouvez-vous dresser ?
La Caisse des Dépôts et Consignations est un acteur majeur du financement de l’économie sénégalaise. Mais, comme d’autres institutions publiques, elle a été affectée par une gestion défaillante dans le passé. À mon arrivée, il était impératif de réformer la gouvernance. Un important travail de restructuration interne a été entamé. J’ai commandité une étude organisationnelle. En parallèle, le Président de la République nous a permis de bénéficier d’une mission de l’Inspection Générale d’État, chargée de faire un audit des finances. Les rapports de l’Ige et de Kpmg ont révélé des dysfonctionnements profonds. Nous en avons discuté en interne, ce qui a conduit à l’adoption d’un plan social, visant à mieux maîtriser les effectifs et à réorienter les ressources humaines vers les fonctions métiers. Le rapport de Kpmg soulignait que 80 % du personnel occupait des fonctions de support, contre seulement 20 % dans les métiers de base. Nous avons donc corrigé cette disproportion.
Le rapport de Kpmg soulignait que 80 % du personnel occupait des fonctions de support, contre seulement 20 % dans les métiers de base. Nous avons donc corrigé cette disproportion.
Nous avons également refondu nos organes de gouvernance. La commission de surveillance, qui veille à la bonne gestion de la Cdc, est désormais présidée par M. Babacar Diame, un expert-comptable expérimenté, épaulé par des techniciens de haut niveau. Les représentants de la Présidence, de la Primature, du ministère des Finances et de l’Assemblée nationale sont désormais des personnes de référence dans leur domaine. Les comités d’audit et d’investissement, qui étaient auparavant peu efficaces, sont aujourd’hui pleinement opérationnels et pilotés par des représentants qualifiés.
Vous avez évoqué l’héritage de projets en difficulté. Quels sont les principaux défis rencontrés à votre arrivée, et comment les avez-vous abordés ?
L’essentiel des projets en cours présentait des difficultés. Je dirais que 99 % d’entre eux posaient problème. La tour des Mamelles est à l’arrêt, le projet de Bambilor avait des blocages, le P30 (30 hectares à l’aéroport) faisait face à des litiges, et même le foncier de la Cdc était affecté par des décisions non conformes ou prises en dehors des autorisations de la commission de surveillance. Nous avons aussi découvert que la Cdc s’était engagée dans des participations minoritaires, sans réel pouvoir de décision, et surtout qu’elle avait placé des sommes colossales dans des comptes courants d’actionnaires, immobilisant ainsi des dizaines de milliards à l’extérieur.
Lors des deux appels publics à l’épargne, la Cdc a mobilisé à chaque fois 5 milliards de Fcfa, soit un total de 10 milliards de Fcfa. Je crois que nous faisons partie des rares institutions à consacrer autant d’efforts pour soutenir l’État.
Un exemple illustratif : la création d’Air Sénégal a été décidée sur la base d’un simple courrier du ministre des Finances, demandant à la Cdc de mobiliser 23 milliards de Fcfa. Cela montre la puissance financière que peut représenter une Cdc bien structurée, capable d’agir sans les lenteurs des banques commerciales. Cependant, cette puissance a été mal canalisée. D’où la nécessité de restructurer l’ensemble des projets existants, de les sécuriser juridiquement, et d’en préserver les intérêts de l’institution.
Concernant Bambilor, où en est le projet ? Les obstacles sont-ils aujourd’hui surmontés ?
Oui, tout à fait. La situation s’est considérablement améliorée. Comme je l’ai expliqué, le projet était scindé en plusieurs segments : 30 hectares, 15 hectares, et 50 hectares pour la construction de logements. La Cdc était auparavant minoritaire dans la société en charge des travaux. Aujourd’hui, nous en sommes majoritaires, la société est devenue une filiale, et le projet a été restructuré. L’argent investi par la Cdc est désormais sécurisé, et bien que nous ne soyons pas à l’origine des lenteurs passées, nous assumons pleinement nos responsabilités. L’État, c’est la continuité. Nous avons l’obligation de livrer les logements à ces Sénégalais qui, depuis des années, ont versé leurs fonds et attendu patiemment. C’est dans ce cadre que 100 Pme ont été mobilisées à Bambilor pour accélérer la finalisation des logements.
La tour des Mamelles fait partie des projets emblématiques mais bloqués. Quelle est aujourd’hui votre stratégie pour le relancer ?
C’est un projet très convoité, mais qui a été extrêmement mal géré. Initialement, le coût de la tour avait été estimé à 29 milliards de Fcfa. Mais en réalité, pour la finaliser aujourd’hui, il faudra mobiliser près de 50 milliards de Fcfa. Cela signifie que les coûts ont quasiment doublé, ce qui traduit un pilotage défaillant. Nous avons donc résilié le contrat de l’entreprise en charge du chantier, et nous travaillons actuellement à recruter une nouvelle société, qui soit techniquement compétente et financièrement solide pour achever les travaux dans les délais.
Pouvez-vous nous dire de quelle entreprise il s’agit ? Est-elle sénégalaise ou étrangère ?
Il s’agit d’une société turque, très réputée dans le secteur. Elle a finalisé plusieurs projets majeurs au Sénégal : la Cité des Nations Unies, le siège de la Rts, les nouveaux locaux de l’hôtel Terrou-Bi, et elle est également engagée dans la rénovation du siège de la Bceao. C’est donc un acteur fiable, ayant à la fois l’expertise technique et la capacité financière.
Aujourd’hui, nous sommes résolument tournés vers l’avenir. Le passif sera traité, des responsabilités seront établies, mais nous ne devons pas nous y enfermer. L’enjeu, c’est de valoriser les avancées récentes, et d’amplifier cette dynamique.
Notre objectif est de reprendre possession de ce bien, de le mettre en exploitation rapidement, et de pouvoir ensuite nous projeter sur d’autres projets stratégiques. Par ailleurs, nous avons un partenariat foncier structurant aux Mamelles, sur une assiette de 5 hectares. Nous organiserons un concours d’architecture ouvert aux architectes locaux, pour aboutir à des projets que nous remettrons ensuite aux promoteurs privés, comme nous l’avons fait pour les 100 Pme.
Au-delà de la gouvernance, vous avez mentionné des réformes de fond pour repositionner la Cdc. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Il y a trois axes majeurs. Le premier, c’est la réforme de la gouvernance, qui était absolument prioritaire. Le deuxième, c’est le traitement du passif. Il s’agissait de comprendre pourquoi autant de projets étaient bloqués, et de mettre en place une stratégie pour les réactiver ou les restructurer. Enfin, le troisième axe — tout aussi crucial — est le repositionnement stratégique de la Cdc, afin qu’elle redevienne un levier fort de financement de l’économie et qu’elle remplisse ses missions d’intérêt général. Aujourd’hui, nous travaillons avec l’État sur plusieurs projets. Nous collaborons avec l’ensemble des administrations et tous les ministères. La Cdc est le catalyseur par excellence de l’épargne, et elle se positionne en première ligne pour la mobilisation des ressources domestiques.
C’est la raison pour laquelle, lors des deux appels publics à l’épargne, elle a mobilisé à chaque fois 5 milliards de Fcfa, soit un total de 10 milliards de Fcfa. Je crois que nous faisons partie des rares institutions à consacrer autant d’efforts pour soutenir l’État. Par exemple, nous travaillons avec les Autoroutes du Sénégal pour la réalisation d’un tronçon autoroutier. Avec la Sogepa, nous avons bâti la sphère administrative de Kaffrine, et ce modèle sera bientôt répliqué dans 3 à 4 régions supplémentaires. L’objectif est d’offrir aux citoyens un guichet unique administratif, regroupant en un même lieu les services de la préfecture, du cadastre, des domaines, etc. La Délégation aux pôles urbains nous a également donné 10 hectares, sur lesquels nous construirons 8 blocs d’immeubles : des R+20, R+14, R+8. Nous collaborons aussi avec la Sapco sur un projet à Mbodiène, où nous développons un complexe hôtelier et résidentiel sur 30 hectares en bordure de lagune. Nous avons aussi signé une convention avec Aibd, et nous accompagnons l’Aprosi dans ses projets industriels. Bref, la Cdc se positionne désormais comme la banque des territoires, au service des collectivités et du développement national équilibré.
Vous décrivez une Cdc très active, sur plusieurs fronts. Mais concrètement, où trouvez-vous les ressources nécessaires pour financer tous ces projets ?
C’est là que la problématique du financement de l’économie sénégalaise prend tout son sens. Le Sénégal fait face à des difficultés récurrentes pour financer son économie, malgré des leviers existants. Il nous faut donc innover. L’État explore déjà des pistes avec les Appels Publics à l’Épargne (Ape) et une meilleure mobilisation des ressources domestiques, mais cela reste insuffisant face aux besoins. La Cdc, en tant que bras opérationnel de l’État, n’a pas de banque, contrairement à ses homologues marocaines ou françaises. Au Maroc, par exemple, la Bnde est rattachée à leur Cdc. En France, cette dernière détient 61 % de La Banque Postale. Nous devons donc créer nos propres instruments financiers. Et c’est pourquoi nous avons obtenu l’autorisation de lancer deux nouvelles filiales. D’ici la semaine prochaine, nous lancerons les appels à candidatures. La première est une filiale agricole, spécialisée dans la création de périmètres agricoles, l’entreposage, et la réduction des pertes post-récoltes. La deuxième, Cdc Capital, une est filiale stratégique dédiée à la structuration financière. Elle nous permettra de lever des fonds à moindre coût, avec des durées longues, afin de financer aussi bien les administrations que les collectivités territoriales. Nous pourrons travailler avec des fonds de pension, qui offrent des taux concessionnels (entre 0,5 % et 1,5 %), bien plus avantageux que ceux du marché bancaire classique. Cela nous permettra de syndiquer, structurer et orienter ces fonds vers des projets de développement territorial, puisque le foncier disponible n’est plus à Dakar, mais dans les terroirs. Les collectivités locales disposent de ce foncier, mais n’ont pas les moyens techniques et financiers pour le valoriser. La Cdc Capital leur apportera à la fois l’ingénierie et les ressources pour y parvenir.
Vous avez évoqué les exemples du Maroc et de la France. La Cdc sénégalaise envisage-t-elle de s’inspirer de ces modèles, notamment en captant des fonds d’épargne ou de retraite ?
Absolument. Nous y travaillons activement depuis plusieurs mois. Je tiens d’ailleurs à saluer les équipes de la Cdc qui s’impliquent pleinement dans la mobilisation de l’épargne nationale. Nous collaborons étroitement avec la Société nationale La Poste sur plusieurs projets en ce sens. Mais il faut être lucide : ce qui fait la force des Caisses de dépôts performantes, c’est qu’elles disposent de ressources longues, stables et récurrentes. Or, la Cdc sénégalaise ne capte pas encore les fonds de retraite, qui représentent une manne considérable et une source de financement durable. C’est un frein majeur à notre capacité d’investissement à long terme. Actuellement, les ressources que nous mobilisons sont souvent volatiles, à court terme, et destinées à être remboursées rapidement. Cela limite considérablement notre marge de manœuvre pour engager des projets d’envergure. Si nous pouvions capter les fonds de retraite, comme c’est le cas pour les Cdc du Maroc ou de France, nous pourrions transformer nos bilans. C’est la clé de leur puissance : leur capacité à investir massivement sur le long terme grâce à des fonds stables. À titre d’illustration, c’est au Sénégal que la Cdc du Bénin est venue effectuer son benchmark. Et pourtant, en seulement 4 ans d’existence, leur Cdc a déjà mobilisé 1.100 milliards de Fcfa. La nôtre, en près de 20 ans, a mobilisé à peine 700 milliards de Fcfa. Pourquoi une telle différence ? Parce que l’Etat béninois leur a transféré la gestion des fonds de retraite. Ce sont ces ressources qui financent aujourd’hui les projets les plus structurants du pays. C’est un modèle inspirant. Et je me réjouis que les nouvelles autorités sénégalaises souhaitent repositionner la Cdc comme un outil central du financement du développement.
Comment expliquez-vous que la Cdc, malgré son potentiel, ait pris autant de retard ?
C’est une réalité que nous ne cherchons pas à nier. La Cdc a souffert de graves problèmes de gouvernance. En consultant les rapports de l’Inspection Générale d’État, nous avons constaté une dérive collective. Des choix hasardeux, un manque de contrôle, des engagements mal calibrés… Tout cela a freiné l’évolution de l’institution. Mais en seulement 15 mois, nous avons franchi plusieurs étapes structurantes. Il a fallu attendre la publication du rapport de l’Ige pour agir sans risquer de se retrouver en contradiction avec ses recommandations. Cela explique pourquoi certains projets ont été momentanément mis en pause, le temps de poser un diagnostic clair et fiable. Aujourd’hui, nous sommes résolument tournés vers l’avenir. Le passif sera traité, des responsabilités seront établies, mais nous ne devons pas nous y enfermer. L’enjeu, c’est de valoriser les avancées récentes, et d’amplifier cette dynamique. La Cdc est désormais reconnue comme un acteur central dans l’écosystème économique. Nous sommes plus visibles, plus sollicités, et plus stratégiques dans les projets de développement.
Où voulez-vous amener la Cdc d’ici 3 à 5 ans ?
Nous avons pour ambition de passer de 5 à 7 filiales à court terme. À mon arrivée, je m’étais engagé sur un plan en trois phases en trois ans : redresser, repositionner, relancer la Cdc. Aujourd’hui, nous sommes bien avancés dans ce processus. Notre visibilité stratégique s’est renforcée, nos partenariats avec l’État et les collectivités se multiplient, et notre réorganisation interne progresse au sein de la maison mère comme des filiales. La Cdc deviendra dans les prochaines années le premier investisseur institutionnel du pays. Prenons quelques exemples concrets : Caco, notre bureau d’études, est aujourd’hui le plus grand du Sénégal. Il abrite le laboratoire de tests géotechniques le plus performant d’Afrique de l’Ouest. Nous ne dépendons plus de laboratoires étrangers pour les tests de sol ou d’hydrocarbures : nous les réalisons ici, au Sénégal. Des pays de la sous-région sollicitent même nos services. On a Cdc-Habitat qui a une capacité opérationnelle équivalente — voire supérieure — à celle de sociétés historiques. J’ai pris l’initiative d’envoyer des conventions à la Sn Hlm et à la Sicap Sa, afin de mutualiser nos moyens et accélérer la production de logements sociaux. Synapsis, notre filiale numérique, travaille main dans la main avec les autorités dans le cadre de la stratégie de souveraineté numérique. L’objectif est de rapatrier certains marchés technologiques confiés à des sociétés étrangères, afin de protéger nos données sensibles. Béton du Sahel, notre filiale minière, est en discussion avancée avec le groupe Atepa pour développer les routes de l’acier et de l’aluminium, avec l’objectif de produire localement ces matériaux, au lieu de les importer, notamment de Chine. Nous envisageons un partenariat stratégique avec la Sierra Leone, afin d’acquérir des mines pour le compte de l’État du Sénégal.
Le Premier ministre s’apprête à dévoiler un plan de redressement économique. Cela signifie-t-il que la situation était plus grave que prévu ?
Il faut saluer le courage politique des autorités actuelles. Elles ont fait le choix de dire la vérité aux Sénégalais. Ce n’est jamais facile, mais c’était indispensable pour repartir sur des bases saines. Qui aurait imaginé que 4.000 milliards puissent être empruntés sans que l’on sache où, comment, et pourquoi ces fonds ont été mobilisés ? Certaines voix ont contesté ces révélations, mais des institutions financières sont venues confirmer l’existence de ces dettes dissimulées. Nous devons en tirer les leçons et corriger nos pratiques, réformer les textes. Au-delà de l’économie, il faudrait aussi redresser les mindset, changer notre rapport à l’argent public, à l’intérêt général, à la notion d’investissement utile, dans des secteurs clés qui peuvent permettre aux Sénégalais de ressentir les efforts de l’Etat, mais aussi qui peuvent embarquer les Sénégalais dans la participation collective aux efforts de relance de notre économie. L’État doit être plus sélectif dans ses choix budgétaires, plus rationnel dans ses dépenses, et plus structuré dans la levée de fonds. Les plateformes industrielles régionales peuvent devenir des pôles puissants de croissance, comme dans plusieurs pays. C’est ce vers quoi nous devons tendre.
Vous êtes également un acteur politique actif, notamment sur les réseaux sociaux. Quel regard portez-vous sur le climat politique actuel ?
Je dirais que les choses avancent, mais que nous devons rester lucides : la responsabilité de gouverner ne permet pas de relâchement. Ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir — dont je fais partie — ont mené une longue lutte, souvent douloureuse, aux côtés d’un peuple qui a souffert, mais qui a aussi fait preuve de courage et de lucidité électorale.
Quand j’étais dans l’opposition, j’aurais pu être ministre parce que Macky Sall m’a fait appeler plusieurs fois quand Aliou Sall iétait directeur général de la Cdc.
Ce peuple a répondu aux appels de notre camp lors des élections locales, législatives, puis présidentielles. Et il l’a fait de manière inédite, en élisant le Président Bassirou Diomaye Faye dès le premier tour, avec 54 % des voix. Aucune autre opposition, jusqu’ici, n’avait obtenu un tel score. Cela nous confère une responsabilité immense, qui exige sérénité, rigueur, abnégation et fermeté. C’est pourquoi les autorités ne transigent pas sur certains principes fondamentaux, ce qui peut engendrer des relations heurtées avec certains segments : opposition, médias, ou acteurs institutionnels. Mais je salue aussi la liberté d’expression, que chacun puisse dire ce qu’il pense, dans la correction. Nous-mêmes, nous avons combattu ouvertement le président Macky Sall, sur les plateaux télé, tout en étant fonctionnaires ou responsables dans l’administration. Nous aurions pu être limogés. J’ai moi-même fait 15 mois de prison pour avoir dit ce que je pensais. Aujourd’hui, à Pastef, ce qui assurera notre pérennité, c’est notre structuration. Ce ne sont ni les ministères, ni les postes. Ce sera la capacité du parti à s’organiser et à se projeter sur le long terme. Car c’est la politique qui nous a amenés là où nous sommes. Il faut donc un regard politique sur chaque action administrative. C’est la politique — à travers notre parti — qui nous permettra de bien maîtriser nos choix stratégiques et de pérenniser le projet de Pastef.
Vous avez parlé de relations heurtées. Est-ce dans votre intérêt, en tant que gouvernants, d’entretenir de tels rapports avec d’autres segments de l’espace public, alors que les priorités sont ailleurs ?
C’est des relations que nous n’avons pas voulues. En y regardant de plus près, ce n’est pas Pastef qui a enfreint quoi que ce soit. Ce qui se passe, c’est que depuis une dizaine d’années, une certaine presse en a pour les autorités actuelles. Des autorités qui n’ont absolument rien fait, hormis le fait de poursuivre des convictions qui ne sont pas forcément les leurs. Et aujourd’hui, je crois que quand on remplit un service public et quand on reçoit des subventions de l’Etat, on devrait aussi être exemplaire en matière de fonctionnement. Il faut beaucoup de responsabilité pour développer le Sénégal. Aujourd’hui, moi-même, à titre personnel, je travaille sur des causes. Une cause, c’est quelque chose qui doit pouvoir fédérer tout le monde, c’est quelque chose qui leur permet d’aller au-delà des frontières de Pastef.
Au-delà de l’économie, il faudrait aussi redresser les mindset, changer notre rapport à l’argent public, à l’intérêt général, à la notion d’investissement utile, dans des secteurs clés qui peuvent permettre aux Sénégalais de ressentir les efforts de l’Etat.
Les gens devraient pouvoir développer des causes qui puissent permettre aux opposants, aux Sénégalais, où qu’ils soient à travers le monde, de se mobiliser pour des causes nationales. Aujourd’hui, au Sénégal, il n’y a pas de causes. Les gens, ils travaillent sur des projets clivants, chacun est dans son segment et ne calcule pas l’autre. Et ça fait qu’on n’est pas forcément un peuple très soudé. Mais je crois que l’Etat du Sénégal, à travers sa politique, à travers sa vision, peut aujourd’hui développer des choses autour desquelles les Sénégalais seraient mobilisés et chacun se sentirait important et obligés de participer.
Mais mobiliser les Sénégalais autour d’une cause, c’est du rôle des autorités…
Oui, c’est vrai. C’est pourquoi je travaille sur une cause autour de l’éducation. Aujourd’hui, quand on n’est pas élève, on est étudiant, quand on n’est pas élève, ou étudiant, on est parent d’élève. Donc qui s’adresse au secteur éducatif touche à 80% de la population. Prochainement, je lancerai une initiative qui va mobiliser du monde, d’où qu’il soit, et dont la gestion sera transparente et aura des impacts sur tous les territoires, et puis ça va aussi impliquer la diaspora.
On vous a vu récemment appeler à la création de médias favorables aux politiques de l’État. Deux jours plus tard, on annonce le retour d’un groupe de presse supposément proche de votre camp. En êtes-vous à l’origine ?
(Grand sourire) Non. Une des personnes à qui ce groupe appartient m’a contacté pour me dire que ce n’était pas du tout lié à ma sortie. Le jour même de ma publication, un grand patron de presse m’a même envoyé un message pour me demander si la Cdc était prête à investir dans son groupe. J’ai souri. Ce que je veux dire, c’est que nous souffrons structurellement de la presse. Il faut répondre de manière structurelle, pas ponctuelle. Nous avons le contenu de communication, il nous faut le contenant : nos propres supports.
On vous considère comme un membre de l’aile radicale de Pastef. L’assumez-vous ?
(Il rit) Oui, je suis radical dans mes convictions, je l’assume totalement. Quand il s’agit de Pastef, je ne négocie pas. Le Président Ousmane Sonko me connaît bien. Il m’a confié la direction de campagne, la coordination du Nemekou Tour, et m’a intégré à son cabinet depuis six ans. Il connaît mon engagement, ma fidélité, ma compréhension du projet. Je suis un radical au sens noble du terme : inébranlable dans mes principes. Quand j’étais dans l’opposition, j’aurais pu être ministre parce que Macky Sall m’a fait appeler plusieurs fois quand Aliou Sall était directeur général de la Cdc. J’étais l’une des personnes qu’il respectait le plus à la Cdc. Et ça ne m’empêchait pas de dire ce que j’ai à dire. Je n’ai jamais douté de notre victoire.
Le nouveau règlement intérieur de Pastef accorde davantage de pouvoirs à Ousmane Sonko. Est-ce une volonté assumée de centralisation ?
Oui, c’est assumé. Pourquoi ? Parce que nous avons observé, au sein de la coalition et parfois dans le parti lui-même, des comportements déstabilisants. Si nous ouvrons trop, sans garde-fous, nous risquons de fragiliser Pastef. Nous sommes un parti jeune, mais avec une ambition nationale et internationale. Il faut donc une direction claire, cohérente, capable de gérer les transitions, d’intégrer les nouveaux venus sans renier les anciens, et de préserver l’idéologie du parti. Il ne s’agit pas de museler, mais de structurer. Pastef doit être ferme dans sa ligne, pour préserver son cap.
Dans deux ans, on aura les élections territoriales. Etes-vous candidat à la mairie de Kaolack?
Je ferai assurément partie de ceux qui porteront la conquête des territoires. A chaque fois qu’il s’est agi de se battre pour quelque projet que ce soit je me suis battu. D’ailleurs, je tiens à le dire, tous les projets de Pastef soit c’est moi, soit c’est moi et le président Bassirou Diomaye Faye ou nous deux et deux autres personnes. Je peux citer le document stratégique 2019-2024, l’étude d’organisation du parti, la structuration du parti, l’opération de lever de fond etc. Aujourd’hui, nous sommes tributaires de ce capital-là on peut valablement écrire une stratégie qui permette à Pastef de conquérir les terroirs. Kaolack, c’est ma ville. Une ville jeune, dynamique, à fort potentiel. Avec les bonnes équipes, Kaolack pourrait devenir la première ville du pays.
Suis-je candidat à la mairie ? Je ne sais pas. Suis-je candidat comme élu local ? Je ne sais pas non plus. Mais une chose est sûre : je serai dans l’équipe. Je me battrai pour Kaolack, pour sa transformation, pour qu’elle redevienne ce carrefour économique et culturel qu’elle mérite d’être.
Entretien réalisé par: Elhadji Ibrahima THIAM et Moussa SOW (Photos)