Pur produit de l’Isra, où il est à sa 20e année, Moustapha Guèye a gravi tous les échelons avant de devenir directeur général. De Thiès à Bambey en passant par Tambacounda, Kolda, Saint-Louis et Dakar, il a fréquenté tous les centres de l’Institut sénégalais de recherches agricoles. L’Isra, il le connait comme la paume de sa main. Pour la relance, les perspectives et la feuille de route sont claires. Il en dévoile une bonne partie après un état des lieux.
Maillon principal de la recherche agricole, l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra) est un bras stratégique du ministère de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de l’Élevage. Il participe également, selon son directeur général, Moustapha Guèye, à l’élaboration et à la mise en oeuvre des projets et programmes, comme les productions végétales, animales et forestières, mais aussi à l’accompagnement des chaînes de valeur agricole. Malgré ce rôle important, l’Isra n’exploite pas tout son potentiel. Plusieurs facteurs l’expliquent. Parmi eux, le manque de moyens. Mais, dans une dynamique de souveraineté alimentaire impulsée par les nouvelles autorités, l’optimisme est de rigueur du côté de la direction générale. Selon M. Guèye, d’importants efforts ont été consentis dans l’accompagnement pour permettre à l’Isra de prendre en charge une partie de ses besoins, notamment les charges de structure, les salaires et le fonctionnement de base, aussi bien au niveau de la direction générale que des centres. « Maintenant, ce qui reste, c’est assurer un financement régulier et pérenne des problématiques de recherche et surtout des programmes de production. Il faut rappeler que nous sommes dans la recherche. Ceci nous permet de mettre en place des programmes de production, particulièrement sur la semence, les vaccins, les plants fruitiers », a indiqué le directeur général de l’Isra.
Aujourd’hui, révèle Moustapha Guèye, le budget de l’Isra, en termes de charges de structure et de prise en charge des questions de recherche, tourne autour de 10 à 15 milliards de FCfa par an, dont la moitié est assurée par l’État pour le financement des charges fixes, spécialement les salaires.
Attirer le secteur privé
Si, à ses débuts, l’Isra était seul dans la recherche, il doit désormais cohabiter avec beaucoup d’acteurs, qu’ils soient des universités, des centres indépendants, des organisations de la société civile… Loin de voir cette diversité comme une menace, le Dg estime qu’il faut plutôt être ouvert et dans une dynamique de synergie des actions.
Dans cet élan où la question du financement est pressante, M. Guèye estime que le secteur privé a un rôle important à jouer. « Il a été longtemps en marge de notre sphère de compétences. Mais, nous savons que sans lui, sans les acteurs à la base, notre recherche ne sera pas bien valorisée. Pour l’attirer, il est d’avis que la recherche est un créneau porteur. « Nous générons des technologies et elles ont besoin d’être mises à l’échelle. Le secteur scientifique doit être lié au secteur du développement. Ce sont autant d’opportunités qui peuvent inciter les privés à investir dans le domaine agricole en valorisant beaucoup plus les innovations qui sont générées. Les innovations attendent d’être démultipliées et mises à l’échelle, surtout dans les zones agricoles », a-t-il plaidé.
L’élevage au cœur des actions
À la question de savoir si plusieurs activités sont orientées vers l’agriculture au détriment de l’élevage, le Dg de l’Isra a répondu par la négative. « C’est juste une perception. L’élevage est une activité à long terme alors que l’agriculture est une activité beaucoup plus saisonnière. Aujourd’hui, au bout de trois mois, vous pouvez avoir des résultats. L’appréciation sur l’agriculture est beaucoup plus visible que quand vous analysez des recherches sur le domaine animal. Mais, c’est une question de communication et de perception. Aujourd’hui, l’Isra a un grand laboratoire national d’élevage sur les recherches vétérinaires, qui est reconnu sur le plan national, sous-régional et international », a-t-il insisté. Pour preuve, a soutenu Moustapha Guèye, l’Institut dispose d’une unité de production de vaccins qui lui permet de mettre sur le marché une dizaine de vaccins pour pouvoir protéger le secteur national tout en vendant dans la sous-région. Par ailleurs, l’Isra est doté de deux centres zootechniques exclusivement dédiés à l’élevage. Ils sont à Dahra, dans la zone sylvo-pastorale, et à Kolda, dans la zone Casamance.
En phase avec la « Vision Sénégal 2050 »
L’Isra étant une structure autonome rattachée au ministère de l’Agriculture, il est attendu pour jouer un rôle important dans l’atteinte des objectifs de la « Vision Sénégal 2050 », d’après son directeur général. Moustapha Guèye pense que les recherches sont essentiellement alignées à ces références. Par exemple, pour la filière arachide, l’Isra est en train de renforcer sa contribution vers la reconstruction du capital semencier. La même dynamique est notée dans la pisciculture, la pêche et l’élevage.
Cependant, pour plus d’efficacité, M. Guèye indique que l’Isra aura besoin d’un nouveau bateau. Selon lui, il faut comprendre que les ressources halieutiques sont mobiles. « Nous avons plus de 750 kilomètres de côtes et nous devons être en mesure de les évaluer, de les suivre et de faire des propositions en termes de schéma d’aménagement et de réformes. Aujourd’hui, l’État a besoin de savoir est-ce qu’il est important, est-ce qu’on peut estimer les besoins des ressources halieutiques dans notre territoire, dans notre zone, mais également aussi comment nous devons exploiter, est-ce qu’on peut proposer des repos biologiques, est-ce que nous devons faire des zones exclusives, etc. Donc, l’Isra est, aujourd’hui, très engagé sur les quatre à cinq domaines qui lui sont assignés dans l’atteinte de la souveraineté alimentaire ».
Les belles promesses du blé
Huit. C’est le nombre de variétés de blés homologuées à Saint-Louis. Après cette étape importante, l’Institut, annonce son directeur général, est en train de mettre en place un programme pour intéresser les zones dans lesquelles le blé est produit, mais également attirer les géants qui veulent investir dans cette filière.
Conscient que l’importation reste encore dominante, l’Isra est en train de mettre les jalons pour accompagner « une filière qui va produire du blé made in Sénégal ». « Aujourd’hui, on est sur la partie production de semences. C’est la base pour développer une filière, il faut d’abord sécuriser et fournir régulièrement des semences de blé. Dans la prochaine campagne, le ministre a fait une dotation spéciale pour améliorer et équiper les Gie en engrais, en matières agricoles, pour pouvoir un peu intéresser les populations à cultiver. Nous avons actuellement environ deux à trois tonnes de semences de blé disponibles », a-t-il informé.
Si les promesses se confirment, soutient Moustapha Guèye, d’ici deux à trois ans, le Sénégal pourra sensiblement augmenter les superficies de semences en blé. « Il faut d’abord préparer, structurer et aussi rassurer les populations. Normalement, d’ici à cinq ans, si cette dynamique se poursuit, en ayant des semences, en accompagnant les Gie, nous pourrons créer un engouement vers cette nouvelle culture », a-t-il affirmé.
292 tonnes de semences prébases disponibles
Dans cette dynamique de souveraineté alimentaire, l’Isra peut se targuer de résultats satisfaisants. Aujourd’hui, son capital semencier est estimé à plus de 292 tonnes de semences de prébases, 150 tonnes de semences d’arachide, 10 tonnes de semences de mil, cinq tonnes de semences de niébé… Si l’on en croit son directeur général, avec le soutien constant des autorités, l’Isra peut atteindre l’autosuffisance semencière en riz, en toutes espèces, à l’horizon 2026.
Toutefois, ces perspectives sont, en partie, liées à la sécurisation du foncier de l’Institut. D’après Moustapha Guèye, l’Isra fait face à une importante pression foncière. « Nous avons adressé beaucoup de correspondances dans ce sens aux différents ministères concernés. Les autorités nous ont promis de prendre toutes les mesures pour que ces agressions cessent et pour que ces patrimoines fonciers puissent être valorisés à travers le secteur privé. C’est le cas à Sangalkam, à Bambey, à Kolda…
Oumar Fédior