Spécialiste des biotechnologies modernes, le Pr Aliou Ndiaye, directeur exécutif de l’Autorité nationale de biosécurité (Anb), estime que le Sénégal ne doit pas rater le train de la science. Pour lui, toutes les niches doivent être explorées pour faire face à l’explosion démographique. L’universitaire pense que l’utilisation de la science pour booster la productivité agricole n’est pas contradictoire avec les principes de la transition écologique.
L’Autorité nationale de biosécurité (Anb) n’est pas très connue des Sénégalais. Pouvez-vous nous en parler un peu ?
L’Autorité nationale de biosécurité (Anb) est, peut-on dire, le bras technique du ministère de l’Environnement et de la Transition écologique. Elle a été mise en place en 2009 pour respecter les engagements du Sénégal qui a ratifié, sur le plan international, des conventions et des protocoles. Je peux citer la Convention sur la diversité biologique, le Protocole de Carthagène relatif à la gestion des risques liés aux biotechnologies modernes et à leurs applications. L’Anb s’appuie sur le Protocole de Carthagène pour mieux encadrer l’utilisation des biotechnologies modernes et de leurs dérivés. En somme, nous sommes une structure du ministère de l’Environnement et de la Transition écologique qui régule l’utilisation des biotechnologies modernes et de leurs dérivés, à savoir les Organismes génétiquement modifiés (Ogm).
Après la loi de 2009 sur les Ogm, une nouvelle loi a été votée en 2022 pour les autoriser au Sénégal. Même si le décret d’application n’est pas encore signé, quelles sont les implications de cette nouvelle loi ?
La loi de 2009 n’avait pas pris en compte toutes les exigences du Protocole de Carthagène, que le Sénégal a ratifié en 2003. Cela a conduit à sa révision en 2022, afin d’intégrer certaines de ces exigences. Parmi elles, je peux citer l’obligation d’informer les différents acteurs et le public. Dans la loi de 2009, ce n’était pas une obligation. Mais avec la loi de 2022, cela devient impératif : il faut échanger avec tous les acteurs sur tout ce qui touche aux biotechnologies modernes et à leurs dérivés. Cela devient également une exigence préalable à toute utilisation des Ogm. Les dommages et réparations n’étaient pas non plus clairement pris en compte par la loi de 2009. Or, la loi de 2022 les intègre. Par exemple, si quelqu’un utilise des Ogm ou des produits issus des biotechnologies végétales, et que cela entraîne des impacts négatifs sur l’environnement ou sur d’autres cultivateurs ayant choisi de ne pas utiliser ces organismes génétiquement modifiés, il existe désormais des normes pour évaluer les dommages, les quantifier et prévoir un dédommagement.
Après le vote de cette nouvelle loi, beaucoup de structures se sont dressées contre. Certains parlent même de pression de lobbies qui veulent vendre leurs produits Ogm au Sénégal. Que répondez-vous ?
Au moment du vote de la loi de 2022, je n’étais pas encore nommé directeur exécutif de l’Anb. J’étais dans un groupe WhatsApp où se trouvaient des intellectuels et d’autres personnes qui spéculaient, se demandant s’il n’y avait pas des firmes internationales derrière. Mais il faut comprendre que cette loi a été votée à l’Assemblée nationale après un long processus, et en concertation avec presque tous les acteurs. Comme je l’ai dit plus haut, l’un des motifs de cette révision est que le Sénégal devait respecter ses engagements internationaux, ce que la loi de 2009 ne permettait pas entièrement. Quant à ceux qui disent que la loi a été votée en session extraordinaire et en procédure d’urgence : c’est simplement parce que nous étions à la veille des vacances parlementaires. Et comme tous les acteurs avaient déjà été consultés (la société civile, les associations de consommateurs, les acteurs agricoles, etc.), il fallait que la loi soit votée avant le départ en vacances des députés.
Quels sont les avantages des biotechnologies modernes ?
Les biotechnologies modernes, comme celles classiques, visent les mêmes objectifs. Mais avec les techniques classiques, on atteignait ces objectifs après une durée très longue. Elles permettent d’agir directement sur l’Adn pour identifier les gènes responsables d’un caractère recherché, puis de les transférer dans le patrimoine génétique d’une autre plante, par exemple, pour lui conférer ce caractère. Ces techniques s’appliquent à l’agriculture, à l’élevage, à la pisciculture, à la médecine, etc. Prenons l’exemple de l’insuline pour les diabétiques : autrefois, il fallait l’extraire des cadavres humains – ce qui posait des problèmes médicaux et sociaux. Ensuite, on a utilisé l’insuline porcine, dont la structure est très proche de celle de l’insuline humaine. Mais cela a également suscité des blocages religieux, notamment chez les musulmans. Finalement, les scientifiques ont identifié le gène responsable de la production d’insuline humaine, l’ont purifié, puis inséré dans une bactérie. Grâce à des techniques biotechnologiques, on extrait ensuite une insuline purifiée, aujourd’hui vendue en pharmacie pour sauver des vies.
Les biotechnologies modernes ne comportent-elles pas aussi des risques ?
Il y a certes des risques. Si vous avez écouté l’exposé du Dr Issa Diédhiou (Ndlr : un scientifique, spécialiste des biotechnologies modernes), vous pourriez croire qu’il faut promouvoir les Ogm, tant il insiste sur les avantages. Mais c’est parce que ces derniers sont prouvés scientifiquement et largement acceptés. Quant aux inconvénients ou risques, on en parle, mais il n’existe pas encore d’études scientifiques solides et largement reconnues qui prouvent que la consommation d’Ogm a des effets négatifs sur la santé. Le mot potentiel signifie qu’il existe une probabilité, mais ce ne sont pas des risques avérés. Si, un jour, des études sérieuses prouvaient que les Ogm entraînent certaines maladies, les scientifiques en parleraient forcément.
Vous dites que les biotechnologies modernes ne sont pas la solution, mais une des solutions. Que voulez-vous dire par là ?
Je veux éviter que l’on pense que les biotechnologies modernes peuvent tout régler. Elles ne sont qu’une des solutions possibles. Si elles peuvent apporter des avantages, tant mieux, mais elles ne peuvent pas tout résoudre à elles seules. Il faut adopter une approche systémique, c’est-à-dire mobiliser toutes les techniques disponibles pour développer l’agriculture : agroécologie, agroforesterie, etc.
Depuis quelques années, le Sénégal s’est engagé dans une transition écologique. Aujourd’hui, on chante les bienfaits des biotechnologies modernes. Est-ce que ce n’est pas contradictoire ?
Non, ce n’est pas contradictoire. La transition écologique consiste à abandonner certaines pratiques nuisibles à l’environnement au profit d’approches qui préservent la biodiversité, la santé humaine et animale. Les biotechnologies modernes ne vont pas à l’encontre de cette transition. Elles peuvent même y contribuer. En effet, il s’agit d’une nouvelle façon de vivre, plus respectueuse de l’homme, de l’animal et de l’environnement. Dans le monde actuel, on ne peut pas envisager une transition écologique sans prendre en compte les avancées de la science.
Propos recueillis par Ndiol Maka SECK