Plateforme panafricaine de recherche et d’action, le Pan african consortium of experts (Pace) s’investit activement dans les domaines de l’eau, de l’assainissement et de la santé. Son directeur exécutif, Seydina Ousmane Sène, présente, dans cet entretien, la vision de l’organisation, ses projets, ainsi que ses collaborations avec les institutions publiques.
Présentez-nous votre organisation ?
Pace est un laboratoire de recherche et d’action, un think tank officiellement créé en 2022 au Sénégal. Notre ambition est de contribuer au développement économique et social du Sénégal et de l’Afrique à travers la recherche, mais aussi de générer un impact réel sur la vie des communautés. Dans cette dynamique, notre mission est double : produire des recherches de qualité et mettre en œuvre des projets et programmes de développement concrets. Notre stratégie repose sur une forte implication des parties prenantes, tant institutionnelles que communautaires. Nous œuvrons également à l’émergence de talents autour de la recherche, un domaine encore trop peu financé. Pace mobilise une expertise internationale, des ressources humaines et financières et des partenariats clés pour s’attaquer aux défis majeurs du continent. Le Sénégal est en pleine transformation et la recherche doit accompagner les mutations en corrigeant les erreurs du passé et en jetant les bases d’un développement durable axé sur les villes et les pôles territoriaux. Nous intervenons dans des secteurs essentiels : éducation, secteur privé, Pme/Pmi, gestion des ressources naturelles, évaluation des politiques publiques. Cela nécessite des outils et des instruments accessibles aux communautés et aux décideurs politiques pour mesurer l’impact des ressources mobilisées et améliorer l’efficacité des politiques publiques. Nous mettons l’accent sur les données massives, enrichies par l’intelligence artificielle, afin d’élaborer des solutions adaptées aux problématiques complexes. Nous intervenons à l’échelle nationale et dans plusieurs pays africains, à travers des recherches approfondies sur des thématiques variées.
Sur quels secteurs intervenez-vous prioritairement ?
L’un de nos axes majeurs porte sur l’eau, l’assainissement et la santé publique, trois domaines indissociables. Il est impératif que les collectivités locales leur accordent l’attention qu’ils méritent. Ces secteurs doivent faire l’objet d’une collaboration étroite entre les ministères concernés. Nous travaillons en partenariat avec les ministères de l’Hydraulique et de l’Assainissement, de la Santé, de l’Environnement, de l’Énergie, du Pétrole et des Mines. Nous traitons notamment de la gestion des déchets biomédicaux, souvent négligée dans les structures hospitalières, ainsi que de la qualité de l’eau et des polluants, afin d’identifier les vecteurs de maladies dans les communautés. Nous disposons d’outils de diagnostic permettant de détecter les lacunes en matière de technologie, de services et de protocoles médicaux. Dans les départements de Pikine et de Guédiawaye, nous avons entamé une évaluation de 21 établissements de santé, en collaboration avec les ministères compétents, afin d’apporter des réformes pertinentes à l’organisation hospitalière. Ce projet mobilise également le secteur privé à l’échelle communautaire, dans le but d’apporter des services concrets aux populations à travers des politiques publiques adaptées.
Quelle appréciation faites-vous de la gestion des ressources en eau au Sénégal ?
L’enjeu de l’eau est central. La véritable bataille du XXIᵉ siècle concerne l’accès et la gestion durable de cette ressource vitale. Aujourd’hui, le Sénégal ne dispose pas d’assez d’eau pour répondre à tous les besoins. Le projet de transfert d’eau vise justement à irriguer l’ensemble du territoire national afin de garantir un accès universel. Il est impératif d’inscrire la gestion intégrée des ressources en eau dans une perspective stratégique. C’est dans cette optique que nous menons depuis six ans des travaux sur la réutilisation des eaux usées. À Cayar, par exemple, nous avons lancé un projet de réhabilitation du réseau d’assainissement en collaboration avec la mairie et un bailleur international. Ce projet vise à connecter 1 600 ménages à un système d’assainissement amélioré, permettant la réutilisation des eaux usées dans l’agriculture et l’industrie, et favorisant la création de villes vertes. Nous disposons des compétences nécessaires, ici au Sénégal et en Afrique, pour valoriser ces eaux. La Lettre de politique sectorielle 2024-2029 du ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement reflète une bonne compréhension des enjeux. L’enjeu principal reste désormais de concrétiser cette vision au niveau des territoires, en impliquant les communautés bénéficiaires.
Quel regard portez-vous sur le coût de l’assainissement ?
L’assainissement est extrêmement coûteux. Construire un seul kilomètre de canalisation pour eaux usées représente un investissement considérable. Il est donc impératif de développer des systèmes d’assainissement adaptés aux réalités des villes et des territoires, pour les rendre attractifs, compétitifs et propices à l’investissement privé. L’urbanisation rapide et l’habitat spontané ont souvent été négligés dans les politiques d’aménagement du territoire, au détriment du développement durable. Depuis deux ans, nous œuvrons à renforcer les capacités des populations à s’adapter aux changements et à développer leur résilience, en capitalisant sur les savoirs endogènes. La recherche scientifique apporte une valeur ajoutée essentielle au développement. Mais tant que les chercheurs ne seront pas intégrés au cœur des décisions politiques et du processus de cocréation, cette contribution restera marginale. Il est urgent de constituer une masse critique d’experts pour accélérer le processus vers l’émergence à l’horizon 2050.
Quelles sont vos perspectives ?
Nous collaborons étroitement avec les communautés pour analyser leur perception des politiques publiques, de leur élaboration à leur mise en œuvre, et veillons à ce que leurs besoins soient au centre des projets et programmes. Le développement du capital humain au Sénégal passe par une révision en profondeur de notre approche éducative. Le « génie sénégalais » existe, mais il faut lui offrir un cadre favorable pour s’exprimer. Le talent, lorsqu’il est conjugué à une éducation de base solide, à une formation professionnelle de qualité et à l’expérience, devient une véritable force. Il est essentiel de recentrer nos curricula sur nos valeurs fondamentales – religieuses, culturelles, spirituelles — tout en gardant une ouverture sur le monde. Le Sénégalais doit être fier de son identité, tout en étant capable de coopérer et de dialoguer à l’échelle internationale. Nous devons développer des formations courtes et ciblées, orientées vers les besoins du marché, les priorités du développement national et les exigences du secteur privé. Nous œuvrons également à offrir des opportunités concrètes aux jeunes diplômés. Nous collaborons avec toutes les universités publiques du Sénégal, et accueillons, chaque année, de nombreux étudiants dans nos projets, pour leur offrir une première immersion professionnelle et renforcer leur employabilité.
Babacar Gueye DIOP