Dans plusieurs localités du pays, les toilettes publiques payantes sont devenues un dispositif courant. Installées dans les gares routières, les marchés et certains carrefours urbains, elles fonctionnent selon un modèle de gestion privée ou communautaire. Leur présence répond à un besoin d’assainissement tout en introduisant une régulation de l’usage par le paiement. Au croisement Saly, le vieux Mademba est à la gestion des toilettes.
Le soleil, déjà haut dans le ciel, tape fort sur les dos courbés dans les activités routinières. Le croisement Saly, réputé pour son vacarme habituel provoqué par le vrombissement des voitures, les cris des coxeurs (Ndlr: rabatteur de clients dans les garages) et ceux des vendeurs à la sauvette installés sur le trottoir à hue et à dia, semblent avoir perdu de ses talents en ce vendredi matin. Quelques rares voitures sont garées çà et là, mais aucun coxeurs, des vendeurs encore moins. Le Magal a ses effets, la majorité des travailleurs ou des clients sont dans la ville sainte de Touba.
En plein milieu du garage, se dresse un petit bâtiment composé de deux pièces où on peut lire : Saaw 50 F, Ganaaw keur 100 FCfa (Ndlr : Uriner à 50 FCfa, Aller aux Wc à 100 FCfa) inscrit au charbon sur les murs à la peinture beige. Ce sont les tarifs des toilettes qu’abrite ce bâtiment. Devant, un sexagénaire habillé d’un large caftan gris, le visage à moitié occupé par une longue barbe blanche, monte la garde assis sur un petit banc. Un homme s’avance d’un vif pas et lui tend une pièce de 50f qu’il récupère en lui demandant «Looy deff ? » (Ndlr : Que voulez-vous faire ?) « Niatta la la jokh ? » (Ndlr : Je vous ai remis combien ?) rétorque-t-il pour signifier que le montant payé devrait renseigner sur la nature du besoin. « Fii kou nieuw fouk ngay jokhei th doo ci yemm, demal wayei nanga deff linga fayy rek. » L’homme a déjà disparu derrière la porte grise. Il ressort la seconde d’après avec un seau qu’il remplit d’eau à partir du tonneau installé devant les toilettes. «Doy na » (Ndlr : ça suffit) somme le vieux qui surveille les moindres faits et gestes de son client « Tour ndokh rek jaroul fessaloup siwo » (Ndlr : uriner ne nécessite pas de remplir le seau à ras bord).
Toilettes pas commodes
L’homme ne pipe mot et disparaît à nouveau dans les toilettes. A peine la porte fermée qu’un bruit se fait entendre de l’intérieur de la cabine. Le vieux sursaute presque en jubilant : « Qu’est-ce que je vous avais dit ? Ils paient toujours 50 F mais font toujours 100 F ».
Victorieux, il poursuit : « Dieu est avec les hommes intègres. A chaque fois, les bruits de leur ventre ou le temps passé dans les toilettes les trahit. C’est rare de rencontrer des gens honnêtes qui vous disent clairement qu’ils font la grosse commission, c’est un besoin naturel à quoi bon le cacher si ce n’est pour ne pas payer mes 50 francs supplémentaires. » Le bruit d’un crochet qu’on déverrouille attire l’attention, l’homme dans les toilettes ressort d’un pas rapide et sans un mot s’engouffre dans un véhicule. « Ya yeey di yoor dokh, do rouss sakh, sama foukk soo ma ko johoul fii, jooh ma ko feulé » (Ndlr: Tu ne peux que baisser la nuque, tu n’as même pas honte, mais sache que tu vas payer mes 50 francs dans l’au-delà), lui lance-t-il rapidement comme pour suivre le rythme de ses pas. Ces mots provoquent l’effet d’un spectacle de Mamane sur la scène de L’Afrique a un incroyable talent. Tous s’esclaffent. « Le pauvre ! S’il connaissait Mademba, il ne se serait jamais aventuré dans ses toilettes, il veut s’enrichir avec ses 50 francs, mais fait toujours fuir les clients. Il ne lui reste qu’à entrer avec eux dans les toilettes », dit un homme adossé à une voiture noire qui suit la scène depuis le début.
Lesdites toilettes ne feraient pas rêver un cafard. Les murs au carrelage beige sont recouverts de tartre noire jusqu’au zinc ou des guêpes ont installé leur nid. Quant au carrelage du sol, il avait disparu sous un tapis de sable humide provoqué par les nombreux va et vient des chaussures des clients. La chaise turque dont l’orifice témoigne de l’arnaque de son dernier utilisateur est désormais d’un jaune qui va bientôt virer au rouge, effet du temps ou de la négligence de son gérant. Un seau dont on ne pouvait plus deviner la couleur initiale est posé dans un coin pour les besoins en eau. Cet endroit dont la propreté laisse à désirer est pourtant indispensable aux habitués et travailleurs de ce garage.
Par Ndèye Ndiémé TOURÉ (Stagiaire)