À Bandia, les passionnés de baobab sont bien servis. Il y en a de toutes les formes. De baobab-éléphant au baobab-caverne. Mais celui qui attire le plus l’attention, c’est le baobab-tombeau ; véritable mémoire vivante d’une tradition passée. Ceux qui le visitent repartent enchantés.
Dans la réserve de Bandia, le tombeau des griots constitue l’une des nombreuses curiosités. Une véritable attraction touristique. Ici, les visiteurs se bousculent pour se faire conter le passé chargé d’histoire du baobab multiséculaire, qui trône majestueusement au milieu de la réserve. D’une beauté rarissime, cet arbre difforme attire, chaque année, des centaines de visiteurs, faisant de Bandia, un des sites régulièrement visités par les touristes de passage.
La vue est fascinante à l’approche du baobab sacré. Un crâne et d’« authentiques » ossements humains sont visibles à partir d’une petite ouverture ressemblant à une fenêtre. « C’est un baobab authentique, on a juste sorti le crâne pour l’exhiber, mais à l’intérieur, il y a beaucoup d’ossements », explique Babacar Diop, guide depuis plus de deux décennies dans cette réserve. « Contrairement à Fadial où les ossements ont été déplacés pour ne pas heurter la conscience des habitants et éviter la profanation de ces lieux sacrés, à Bandia, on a préféré les garder vu que c’est un site touristique », renseigne-t-il.
Cet arbre géant, tutélaire de la savane, avec ses 17,5 mètres de circonférence quasi millénaire et ses formes plantureuses, est entouré de mythes et légendes qui caractérisent la culture animiste notamment sérère. Des croyances bien enracinées et qui refusent de se perdre avec le temps, la modernité. Selon le guide, Babacar Diop, ce baobab a servi de cimetière aux griots qui sont les dépositaires de la tradition orale. Cette pratique, selon le conservateur, date du temps de l’animisme quand il n’y avait pas de religion révélée (catholique ou musulmane).
En réalité, ces baobabs ne sont pas des cimetières au sens traditionnel du terme, mais plutôt des lieux d’inhumation uniques et symboliques, réservés à une certaine catégorie de personnes, notamment les griots. « Dans la tradition sérère qui était hautement animiste, il fallait honorer la terre, la cultiver pour y être enterré. Mais, le griot n’était pas cultivateur ; il était considéré comme quelqu’un qui ne lui rendait pas service ; donc à sa mort, il ne méritait pas d’y retourner sans risquer de la souiller », explique le guide. Ainsi, on les mettait à l’intérieur et son corps ne touchait pas le sol.
Pour les Sérères, la terre était sacrée et ne devait pas être « polluée » par l’enterrement de certains individus dont les griots. En raison de cette croyance, il était interdit d’enterrer les griots dans le sol. Pour contourner cette interdiction et offrir une forme de sépulture, leurs corps étaient traditionnellement placés dans les cavités naturelles des troncs des baobabs. « Ils étaient déposés et superposés dans des trous du baobab », précise-t-il.
Cependant, renseigne Babacar Diop, cette pratique a cessé avec l’indépendance. « La pratique disparaissait au fur et à mesure que les Sérères se convertissaient à l’islam ou au christianisme. En 1960, avec l’avènement des indépendances, la pratique fut définitivement abandonnée grâce à un décret présidentiel de Léopold Sédar Senghor », informe le guide. « Depuis 1960, tous les baobabs-cimetières ont été officiellement abolis. Mais certains ont continué dans la clandestinité. Il y a trois à quatre années, la presse a fait échos d’un problème similaire. Une griotte était morte et les habitants n’avaient pas voulu l’enterrer. »
Malgré la disparition de cette croyance, certaines pratiques païennes n’ont pas cessé, selon Babacar Diop. « Dix ans après le décret interdisant cette pratique, il y a eu une malheureuse coïncidence avec les pluies qui étaient devenues rares. Dans les années 1970, il y a eu une très grande sécheresse au Sénégal et les gens ont fait ce rapprochement. Certains ont même réclamé le retour à la tradition », rappelle le guide.
Aujourd’hui, le baobab-cimetières de Bandia, attire beaucoup de touristes et autres visiteurs assoiffés de découverte. « Le site est un endroit prisé. De nombreux touristes viennent de partout le visiter. Les populations autochtones également. Les élèves des écoles gravitant autour de la réserve passent régulièrement visiter le site », renseigne Babacar Diop.
Des pouvoirs et vertus mystiques sont aussi attribués à ce baobab. Et d’aucuns n’hésitent pas à formuler des vœux et prières. Et il est difficile de résister à la tentation.
Par Samba Oumar FALL