À la lisière de Dakar, dans la commune de Thiaroye, repose un morceau méconnu de l’histoire du Sénégal et de l’Afrique. C’est là que les corps des tirailleurs sénégalais, massacrés en décembre 1944, sont inhumés, victimes d’une répression brutale pour avoir réclamé leur dû, après leur service dans l’armée française. Près de 80 ans plus tard, le cimetière de Thiaroye reste un lieu de mémoire silencieux, porteur d’une charge historique et émotionnelle immense.
Le massacre de Thiaroye est l’un des épisodes les plus sombres des relations franco-sénégalaises sous l’ère coloniale. Le 1er décembre 1944, environ 300 Tirailleurs sénégalais démobilisés, revenus des champs de bataille européens, sont attaqués par des soldats de l’armée coloniale. Ils réclamaient leurs indemnités, mais leur protestation a été réprimée dans le sang. Le nombre exact de victimes reste controversé ; certains historiens évoquent une quarantaine de morts, d’autres beaucoup plus.
Ces hommes qui avaient combattu pour libérer la France occupée par les nazis, furent trahis par ceux qu’ils avaient défendus. « Thiaroye est un symbole de la lutte pour la dignité et la justice », affirme un historien sénégalais spécialiste de la question.
Le cimetière militaire de Thiaroye est sobre. Des stèles alignées marquent l’emplacement des tombes, mais pour beaucoup, ce lieu est méconnu même au Sénégal. De nombreux Sénégalais le dépassent tous les jours, juste après l’arrêt appelé Poste Thiaroye, sans soupçonner son existence. À l’intérieur du cimetière, les herbes côtoient des stèles qui, bien qu’entretenues de manière ponctuelle, témoignent d’un souvenir parfois négligé.
Au cœur du cimetière, une grande stèle commémorative rend hommage aux « tirailleurs tombés pour la France ». Mais pour certains, ce mémorial reste insuffisant. Des voix s’élèvent pour demander un effort plus conséquent de préservation et un travail éducatif auprès des jeunes générations.
Abdoulaye Sarr habite Thiaroye. Son grand-père faisait partie des tirailleurs. « Mon grand-père a survécu, mais il n’a jamais cessé de parler de ses camarades tombés ici. Il disait toujours que leur sacrifice ne devait jamais être oublié », confie-t-il. D’autres expriment leur frustration face au manque de reconnaissance officielle. « On en parle souvent dans les commémorations, mais est-ce que la France ou même le Sénégal font assez pour honorer ces hommes ? », s’interroge un professeur d’histoire du lycée local.
Le cimetière de Thiaroye est bien plus pourtant qu’un lieu de repos pour les victimes de 1944. C’est un site de mémoire, un appel à la justice et un rappel que l’histoire, aussi douloureuse soit-elle, doit raconter. Thiaroye reste un symbole puissant de dignité, de lutte et de mémoire.
Le massacre de Thiaroye a longtemps été passé sous silence, en particulier en France où ce chapitre de l’histoire coloniale reste délicat. Ce n’est qu’en 2004, à l’occasion du 60e anniversaire, qu’un hommage officiel est rendu par l’État français. Depuis, des initiatives ont vu le jour pour inscrire cet événement dans les programmes scolaires, mais elles tardent à se concrétiser.
Au Sénégal, le 1er décembre est désormais une journée de mémoire, mais les familles des victimes réclament toujours justice et réparation. Pour beaucoup, le cimetière de Thiaroye est un rappel douloureux des injustices coloniales et des sacrifices oubliés.
Au-delà du cimetière, le massacre de Thiaroye soulève des questions sur la mémoire collective et la justice historique. Comment transmettre cette histoire aux générations futures ? Quelles leçons tirer pour mieux reconnaître les sacrifices des soldats africains ? Nécessité de transmettre la mémoire. Mais aussi la réhabiliter.
Dans les rues de Thiaroye, un jeune étudiant confie : « Si nous ne racontons pas notre histoire, qui le fera ? ». Les autorités et populations ont également le devoir de raviver ce souvenir et d’inviter chacun à méditer sur le sens du sacrifice et de la reconnaissance.
Ibrahima Khaliloullah NDIAYE