De l’atelier de bricolage à la fabrication de drones de haute technologie, Mouhamadou Guèye, ingénieur autodidacte, incarne l’esprit d’innovation et de persévérance. Co-fondateur de la startup Ndobine, il a mis au point des engins adaptés aux réalités climatiques du Sénégal et se dit déterminé à faire rayonner l’ingénierie sénégalaise à l’échelle africaine.
Avec Mouhamadou Guèye de Ndobine, une startup sénégalaise qui conçoit des drones adaptés aux réalités climatiques de notre pays, on peut sans se tromper soutenir que la passion est devenue une vocation. Né avec une curiosité insatiable pour la mécanique et la technologie, il a toujours eu une vision bien différente de l’école traditionnelle. Son parcours scolaire, entaché de frustrations, le pousse à quitter le système éducatif en classe de terminale. « L’ennui m’a poussé à abandonner l’école. Ce que je voulais apprendre n’était pas dispensé en classe, » confie-t-il. Plutôt que de se résigner, Mouhamadou décide de se consacrer pleinement à sa passion pour la mécanique, la physique et la technologie. Internet et les livres deviennent ses principaux outils d’apprentissage. Il ne s’agit pas seulement de concevoir des drones, pour lui, l’objectif est de comprendre et de maîtriser un domaine qu’il considère comme fondamental pour l’avenir de la technologie. Sans formation académique formelle en ingénierie, Mouhamadou Guèye fait l’impasse sur ses limites en se forgeant une expertise qui l’amènera à innover.
Ndobine, envol vers l’industrie
Aux côtés de quatre autres passionnés également autodidactes, Mouhamadou fonde Ndobine, une startup spécialisée dans la fabrication et la réparation de drones. Le concept est simple mais ambitieux : concevoir des drones locaux adaptés aux spécificités du Sénégal. « Nous avons vu que les drones importés ne répondaient pas aux réalités géographiques et climatiques du pays. Il y a une vraie différence avec ce que nous pouvons créer ici à partir des matériaux locaux et une approche sur mesure », explique-t-il lors d’une rencontre avec une équipe du quotidien « Le Soleil ». C’est ainsi que notre interlocuteur se lance dans la fabrication de drones résistants à la chaleur, aux intempéries, aux vents entre autres particularités du climat sénégalais.
« La gamme de produits de Ndobine s’étend des drones aquatiques conçus pour la cartographie sous-marine, aux drones à voilure fixe, capables de survoler une centaine de kilomètres durant plusieurs heures », renseigne M. Guèye.
Ndobine se distingue également par ses services en réparation de ces engins, une réponse à une demande croissante de la part des utilisateurs locaux, a laissé entendre Mouhamadou Guèye. Le marché des drones importés, souvent mal adaptés aux conditions locales, crée un besoin en maintenance et réparation. Un créneau que Ndobine a su combler grâce à son expertise locale.
Contribuer à surveiller les côtes
L’une des plus grandes réalisations de la startup est sans doute le drone qui peut surveiller l’activité côtière. « C’est un modèle entièrement conçu et qui peut être exploité par la Marine nationale car il est destiné à renforcer la sécurité des côtes sénégalaises en luttant contre la pêche illégale, la contrebande en mer et l’émigration clandestine », explique Mouhamadou Guèye. Un défi qu’il a su relever avec ses camarades de Ndobine. « Avec ce drone qui peut parcourir jusqu’à 100 km et rester en vol pendant plusieurs heures, nous pouvons surveiller les zones côtières de manière autonome », se réjouit l’inventeur. Un autre atout majeur de cet appareil volant, c’est sa robustesse, avec des caractéristiques spécifiquement pensées pour le climat et les conditions maritimes du Sénégal. « Il peut opérer dans des environnements difficiles, une caractéristique que les drones importés n’ont pas toujours », note M. Guèye.
Des projets futuristes
Outre la surveillance côtière, M. Guèye a mis également à contribution son intelligence pour mettre au point d’autres types de drones qui pourront permettre de répondre à certains défis du futur. On peut citer les drones aquatiques, capables de réaliser des cartographies sous-marines et de participer à des missions de sauvetage en mer. « En été, lorsque les plages sont très fréquentées, un drone aquatique équipé de bouées de sauvetage pourrait intervenir en cas de noyade. C’est un projet que nous explorons actuellement », explique-t-il.
Les drones à voilure fixe et les multicoptères (aéronef équipé de plusieurs hélices, pouvant être piloté à distance ou fonctionner de manière autonome) sont aussi des projets qui suscitent un grand intérêt dans les secteurs de l’agriculture de précision, de l’inspection des infrastructures et même de la cartographie topographique pour le secteur des Bâtiments et travaux publics (Btp), a-t-il indiqué. Grâce à des capteurs multi spectraux, ces drones, dit-il, peuvent détecter des aspects phytosanitaires pour les cultures et améliorer la rentabilité de l’agriculture au Sénégal. « Ce type d’innovation est un des axes principaux de développement pour Ndobine, qui voit un potentiel énorme dans le secteur agricole et au-delà », a souligné M. Guèye.
Dans leur entreprise, Mouhamadou Guèye et son équipe doivent faire face à plusieurs défis. On peut citer notamment l’accès limité aux matériaux industriels et autres composants électroniques nécessaires pour la fabrication de drones de haute précision. « Nous fabriquons nos drones avec les moyens du bord. Nous utilisons des matériaux locaux comme le polystyrène et le bois, mais certaines pièces électroniques doivent être commandées à l’étranger », confie-t-il. La récupération de composants dans des appareils électroniques obsolètes est également une pratique courante pour l’équipe de Ndobine, ce qui témoigne de leur ingéniosité face aux contraintes liées à la logistique.
Le défi de l’accessibilité et de la réglementation
Mais au-delà des difficultés matérielles, il y a la question de la réglementation. « Le drone est une technologie émergente et il y a des règles strictes concernant son utilisation, surtout en ce qui concerne la sécurité aérienne », précise M. Guèye. Pour cette raison, l’équipe de Ndobine a pris soin de respecter scrupuleusement les réglementations locales en limitant notamment la hauteur et la distance de vol. Elle espère que les autorités étatiques leur accorderont davantage de liberté pour tester leurs drones dans des conditions réelles.
Devenir leader en Afrique
Mouhamadou Guèye ne cache pas ses ambitions. Ndobine, dit-il, souhaite devenir un acteur clé dans l’industrie du drone en Afrique. « Nous voulons être les leaders de la fabrication de drones en Afrique. Le potentiel est immense, tant pour les applications civiles que militaires », souligne-t-il. Pour y parvenir, il est convaincu que l’accompagnement des autorités est crucial. « Nous avons le savoir-faire mais ce dont nous avons besoin, c’est le soutien et des mesures d’accompagnement pour passer à la vitesse supérieure », affirme- t-il.
Il rêve également de voir l’État sénégalais investir davantage dans l’innovation et la recherche scientifique. « Si nous recevons le soutien nécessaire, je suis convaincu que nous pourrons rivaliser avec les grandes puissances étrangères », affirme-t-il avec détermination. « L’ignorance est un choix. Avec internet, il n’y a plus de limites pour apprendre et innover. Le ciel est la seule limite », conclut-il. Suffisant pour souligner l’engagement indéfectible de ce garçon à bâtir un avenir où la technologie locale et l’ingéniosité sénégalaise seront au cœur du progrès.
Daouda DIOUF (texte) et Serigne DIENG (Vidéo)