Le livre est à la page ce mois d’octobre. Le week-end dernier, à la faveur de la quatrième édition du Salon du livre féminin, son destin, son accessibilité et ses perspectives en tant qu’industrie ont été débattus, à côté d’autres thèmes estampillés féminisme(s), actualités et technologies. À partir de demain, pour deux jours (16-17 octobre 2025), le 1er Forum national du livre et de la lecture s’ouvre pour penser le livre comme moyen d’éducation pour arriver à une souveraineté portée par des citoyens engagés, cultivés et ancrés dans la conscience collective. Tout ça, à côté des nouvelles parutions.
Dans un pays où les auteurs essaiment, où s’activent une soixantaine d’éditeurs, mais où étrangement on dit chercher à la loupe les lecteurs, l’effervescence est bienvenue. Seulement, une page inusable et indéchirable de notre livre national manque toujours aux catalogues. C’est la librairie « par terre ». Marché parallèle, sanctuaire à plein air, écrin de rares joyaux, la librairie « par terre » est passée patrimoine dans ce pays pour bien de jolies raisons. Son cachet socioéconomique prononce son intemporalité. Allez demander aux nombreux parents assaillis, asphyxiés par la conjoncture, et devant faire face à l’achat des fournitures scolaires.
Au début de ce mois, comme à chaque rentrée des classes, ces librairies « par terre » reçoivent ces darons munis de la calculette d’épicier. Qui pour troquer d’autres manuels scolaires ou ouvrages au programme de l’année précédente, qui pour sourire de laisser moins de sou du portefeuille éprouvé, contre un bouquin de énième main. Certains collégiens et lycéens, habitués à accompagner papa et maman à ces espaces démocratiques du savoir, ont constaté et compris le filon. Ces jeunots « échangent » aussi.
D’autres vont vendre un p’tit livre emprunté « sans délai » à la maison, à une bibliothèque, chez un pote, ou on ne sait où encore. (Ne parlez pas de larcin ! Le livre volé porte plus de vérités qu’un livre acheté (Antoine Guillot). Toujours est-il que ces jeux et motivations ont créé et façonné bien des lecteurs. Le « par terre » est l’un des premiers lieux de voyage libre et fantastique. Les livres d’occasion ne font pas que se ramasser. Le « par terre» s’est levé depuis le temps pour être dans étals, kiosques ou échoppes-papeterie.
Curieusement, il est plus facile de trouver certaines pépites littéraires dans ces brocantes de bouquins. C’est vrai, malheureusement, dans une édition qui fait le doigt d’honneur aux droits d’auteur et aux grandes maisons d’édition. Surtout, bien plus malheureusement, pour les classiques de la littérature noire africaine. Mais, n’allez pas croire que c’est la règle. Certains peuvent se retrouver le cœur plein d’étoiles en tombant sur une édition originale, avec la dédicace de son illustre auteur. On trouve des signatures et des best-sellers très facilement dans ces repaires, pendant qu’il faut passer commande chez le convenable libraire qui a épuisé son stock et est peu sûrs d’en ravoir. Et niveau prix, l’unité chez l’un vaut la série pour l’autre. Quoique ces cassettes littéraires ne sont pas favorables qu’aux infortunés. Il s’agit de magots certes défraichis, mais concentrant toute leur valeur. Des brûlots, navrés de ne pouvoir se trouver libraires ou bonnement censurés, s’achètent d’ailleurs souvent sous le comptoir de ces commerces de fortune. Ces brocanteurs du bouquin, sous leur air hagard, maitrisent un bon segment du circuit …
Au-delà, ces commerces particuliers figurent sur notre carte postale. Faut voir sur le parcours de Colobane, venant du rond-point jusqu’au mur de la Caisse de sécurité sociale (tiens !), comment des lecteurs s’enfument des vapeurs noirâtres des cars rapides ou se bousculent dans la cohue pour trouver « le » livre dans ces étals mythiques. L’exercice est plus calme au célèbre « par terre » devant l’Immeuble Kébé, et dans les kiosques à journaux de Dakar-Plateau. Ces kiosques ont pendant un temps signé au décor pittoresque du chic centre-ville. Ils y sont pourtant toujours, mais le centre-ville n’étant plus si chic ni encore trop « résidentiel » …
mamadou.oumar.kamara@lesoleil.sn