Face aux crises, aux injustices, aux défaites, certains plient, d’autres se relèvent. Entre effondrement et espérance, la résilience n’est pas qu’un mot : c’est une manière d’habiter le monde. Au gré de l’actualité, certains mots refont surface comme s’ils venaient de naître. Les journalistes les reprennent, les chroniqueurs les répètent, les commentateurs les épuisent. Ainsi du mot résilience, que j’ai redécouvert au temps du Covid-19. Pendant ces mois suspendus, il s’imposait dans toutes les bouches. À force de l’entendre, j’ai cru qu’il avait changé de sens.
Le dictionnaire m’a pourtant rappelé sa vérité première : capacité à surmonter les chocs traumatiques. Je l’avais toujours compris comme la faculté d’endurer, de se relever, de faire face. La nuance est subtile : la résilience n’est pas seulement résistance — elle devient foi quand le monde chancelle. Des peuples entiers en sont les témoins vivants. Le peuple palestinien, d’abord : depuis 1948, il survit, debout, face à la machine de guerre israélienne. Chaque bombe, chaque ruine, chaque enfant perdu redonne paradoxalement vie à sa cause. Soixante-quinze ans de douleur, et toujours cette obstination à ne pas disparaître. C’est cela, la résilience : refuser l’effacement.
Je pense aussi à Bocar Samba Dièye, vieil homme de 91 ans, commerçant visionnaire et infatigable. Parti d’un modeste étal en 1985, il fit venir le mil d’Égypte, puis le maïs, puis le riz, brisant les monopoles hérités de la colonie. Cent bateaux plus tard, la banque l’étouffe, mais lui ne plie pas. Parce qu’il sait que le commerce, comme la vie, est une longue traversée où le courage vaut plus que l’or. Et plus loin dans le temps, la résilience s’appelait Mandela, Soweto, Afrique. Elle portait les visages noircis de fatigue mais illuminés d’espérance ; elle se lisait dans les luttes anticoloniales, dans les chaînes rompues par la dignité, dans la marche lente et sûre des peuples vers la liberté.La résilience, au fond, n’est pas qu’un mot savant. C’est un souffle. Celui qui empêche les hommes de tomber à genoux. Celui qui reste quand tout s’effondre : la dernière lumière que la peur ne sait pas éteindre. Et peut-être aussi cette force discrète, nichée en chacun de nous, qui nous maintient debout malgré la dureté des épreuves. Parce qu’il y a, au cœur de tout être humain, une part de résilience qui refuse de céder ou de mourir.
Abu Omar


