La bataille numérique, la violence 2.0 devrait-on dire, n’a jamais autant fait rage au Sénégal. Elle avait débuté ces trois ou quatre dernières années, mais depuis quelques semaines la situation a atteint un seuil à la limite du tolérable, avec de véritables armées digitales en ligne. On a l’impression que des citoyens ne travaillent pas, et ne dorment point. Ils se haranguent, s’insultent de plus belle et avec toutes leurs tripes, sur les réseaux sociaux, du matin au soir. On sort toute sa bile pour la déverser sur son concitoyen. À se demander même si certains ont le temps de manger à force de se casser la croûte sur le dos les uns et des autres. Des injures, quolibets, les pires calomnies que des oreilles chastes ne sauraient entendre ou qu’une bouche bien éduquée ne devrait répéter en public. Dans la vie de tous les jours, il est souvent arrivé des points de non-retour dans les incivilités entre camarades, protagonistes, ou rivaux politiques. C’est quand le débat, qui devrait être courtois, démocratique, même dès fois très contradictoire, atteint un niveau d’intensité aussi sérieux ou grave, que l’adversité se transforme crescendo en rancœur, animosité, voire de la haine tout bonnement.
Souvent les arguments touchent les sensibilités des uns et des autres, comme l’appartenance linguistique, ethnique, géographique ou la classe sociale. Au-delà de la personne visée par ces méchancetés, ses partisans en prennent pour leur grade, son époux ou son épouse, des enfants, voire des familles ou des contrées entières subissent ces calomnies et injures sur les réseaux sociaux. En sus des mots violents, les images, des caricatures, ou des photos détourées, s’invitent également aux débats. Des images désobligeantes, qui, il y a une dizaine d’années auraient heurté l’opinion et les consciences. Mais désormais tout, ou presque, passent pour banal sur les réseaux sociaux. Un niveau de grossièreté si haut, ou de manque de courtoisie aussi bas n’a jamais été atteint au pays de la « Teranga ». Si c’étaient de simples citoyens ou partisans qui alimentaient cette bataille 2.0, maintenant ce sont des personnages jadis « respectables » ou « notables », qui s’y mêlent à cœur joie.
On dit qu’en démocratie, les élections locales, législatives, présidentielle, départagent les différentes sensibilités politiques et permettent aux citoyens de trancher les débats en faisant le choix de leurs dirigeants pour des durées bien déterminées. Désormais au Sénégal, pas besoin d’attendre ces échéances électorales, l’on solde donc nos divergences sociopolitiques sur les plateformes digitales, les contentieux entre citoyens à coups de quolibets, de diffamation, de fake news, et maintenant d’injures.
Et dans ces échanges houleux et infamants débats 2.0, gare à celui qui se propose médiateur pour faire cesser le feu entre protagonistes sur les plateformes digitales. Un des quidams lui tombe dessus la bave à la bouche, un feu virtuel entre les doigts plutôt, pour le renvoyer à sa paix intérieure. Personne n’ose plus s’ériger en moralisateur ou sage dans ces violentes joutes verbales. On comprend alors cet immigré postant une vidéo sur Tik Tok pour répondre à son ami qui lui demandait à quand son retour au bled. Le gars dit qu’il n’y pense même pas pour le moment. Avec ironie, il rappelle que les Sénégalais ont vraiment besoin de faire le ménage dans leurs cœurs. Le mal est très profond…
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