L’absence de contrôle crée de mauvaises habitudes. Dans le cadre d’une mission d’audit pour le compte d’un pays africain, Gacyen Mouely, associé gérant du cabinet 3M-Partners & Conseils, a été témoin d’un cas révélateur. L’opérateur avait déclaré avoir foré 32 puits. Après vérification, il n’avait foré que 17. Pire, tous les travaux avaient été réalisés par une filiale du groupe. Donc, pas de flux de trésorerie. « Une triche qui montre l’importance du suivi et du contrôle des contrats parce que cela génère des coûts », conseille M. Mouely. « Parfois, l’État perd de l’argent, pas parce que le contrat est mauvais, mais à cause de l’absence de suivi et du contrôle », révèle-t-il.
En effet, avec des budgets limités, beaucoup d’États africains ne font pas systématiquement les contrôles nécessaires pour le respect des contrats négociés avec les compagnies pétrolières. Il faut mobiliser des équipes pendant trois à quatre semaines ; ce qui, naturellement, a un coût. Certaines compagnies gonflent volontairement les coûts pétroliers avec des rubriques fourre-tout comme « frais généraux » ou « stocks de matériels ». C’est pourquoi il est conseillé de comptabiliser cette rubrique après consommation du matériel et non à l’achat. L’audit, le maillon faible L’autre défi est lié à l’audit. « Le point faible de la négociation des Contrats de partage de production dans nos États, c’est l’absence de procédures d’audit », constate Gaëtan Mboza, associé au cabinet 3M-Partners & Conseils.
Par exemple, au Gabon, pendant longtemps, il n’y avait pas d’audits durant la phase de prospection et quand l’État a voulu revenir sur le partage, la compagnie exploitante a refusé, arguant le fait que cela ne figurait pas dans le contrat initial. En effet, souligne M. Mboza, les contrôles ont la particularité de révéler la mauvaise foi des parties, les États s’arcboutant sur leur souveraineté, les compagnies sur leurs intérêts. En général, les États négocient des délais très courts pour procéder à l’audit des coûts pétroliers (les investissements effectués par la compagnie durant la phase de développement), soit en moyenne deux ans à compter de la fin de l’exercice objet du contrôle ». Certains pays ont ainsi commis l’erreur de ne pas inclure dans les contrats une clause de renégociation. En outre, la souveraineté est systématiquement limitée par la clause de stabilisation qui permet aux compagnies de se prémunir contre tout changement significatif. Même la langue dans laquelle est rédigé le contrat est importante. Gaëtan Mboza cite l’exemple d’un pays africain où ce qui était écrit dans le contrat en anglais ne disait pas la même chose que ce qui figurait dans la version française.
Le vrai coût de l’absence de contrôle L’autre faiblesse dans les Cpp est l’absence de suivi et de contrôle des coûts pétroliers. En effet, souligne Georges Ndjayeno, responsable-conseil chez 3M-Partners & Conseils, s’il est important de bien négocier le Cpp en amont, il est tout aussi crucial de veiller à son application rigoureuse à travers des contrôles. Pendant longtemps, les États africains producteurs de pétrole étaient obligés de se contenter de ce que les compagnies voulaient bien communiquer comme chiffres. « Au Gabon, c’est seulement au début des années 2000 qu’on a commencé à procéder à des audits des coûts pétroliers. Et lors de certaines missions d’audit, on a fait des découvertes surprenantes.
Par exemple, une compagnie avait facturé des frais à rembourser sur le compte de la maison. Or, celle-ci n’existait que sur le papier », raconte M. Ndjayeno. Des contrôles sont aussi nécessaires pour rationaliser la gestion des stocks. Un exemple : toujours au Gabon, une compagnie avait acheté un important stock de matériel facturé dans les coûts pétroliers, mais le matériel ne correspondait pas au puits et était inutilisable. Tirant les leçons de ce genre de duperie, le pays ne considère désormais que le stock réellement consommé. Plusieurs anomalies ont été notées par le cabinet 3M-Partners & Conseils durant les contrôles pour le compte d’États : absence de pièces justificatives probantes, coûts extérieurs à la date de signature du contrat, allocation de coûts non liés au permis exploité, utilisation des taux de conversion en devise non conforme…
Pour Seynabou Dia Sall, Ceo du cabinet Global Mind Consulting, dans un contexte où chaque dollar compte, il est important de maitriser les dépenses pétrolières. Certains États pèchent également par l’absence de suivi des avantages fiscaux et douaniers qui sont généralement limités dans le temps. Toutefois, « trop de pression de l’administration en matière de contrôles peut être un frein pour le climat des affaires », avertit Gacyen Mouely, suggérant de mutualiser les contrôles des différentes entités de l’administration. Le Gabon a ainsi mis en place une plateforme collaborative réunissant toutes les structures qui interviennent dans le suivi des contrats pétroliers.
Par Seydou KA (Envoyé spécial à Dubaï)