Il y a quelques jours, j’ai voyagé avec une dame qui a perdu sa fille aînée, décédée en Mauritanie, d’une courte maladie. Durant tout le trajet, elle appelait ses proches et autres connaissances pour les en informer. Quoi de plus normal me diriez-vous ?
L’espace d’un coup de fil, elle pleurait, pas à la manière des pleureuses qui entraient en transe, se jetaient à terre, se roulaient dans la poussière, poussaient des cris perçants, gémissaient et pleuraient comme vigne au printemps ; elle sanglotait et répondait avec des trémolos dans la voix. Même la pitié s’en serait apitoyée. Elle soupirait de soulagement quand on lui promettait un dépôt Wave ou Orange Money ; aussi s’empressait-elle de raccrocher pour empocher le jackpot. Et à chaque fois que le bip retentissait, telle une délivrance, elle me remettait son téléphone et m’implorait de vérifier le montant qui lui était envoyé. Quand je lui confirmais que c’est 10.000 FCfa, elle soupirait. Par contre, quand c’était 3.000 ou 2.000 FCfa, son visage se renfrognait terriblement. Pauvres morts. Ils sont souvent utilisés comme fonds de commerce par leurs parents et proches qui le font parfois sans vergogne, avec une hypocrisie non feinte. Bref, par leur famille.
Dans notre société qui marche parfois sur la tête, il suffit qu’une personne soit alitée, à l’hôpital ou à la maison, qu’elle agonise pour que ses proches, aussi prompts que la météo, s’empressent de remplir son acte de décès, d’anticiper sur ses funérailles. Quand elle a le malheur de passer de vie à trépas, c’est la bamboula. Avec la crise des valeurs qui fait son bonhomme de chemin, les gens sont devenus de plus en plus inexorables. Vous pouvez souffrir comme un damné, sans qu’une bonne âme ne daigne voler à votre secours. Même pour une ordonnance, il faut que la pitié les supplie pour qu’ils mettent la main à la poche. Et si votre maladie perdure, ils trouveront toujours à redire. Mais, une fois que vous cassez votre pipe, tout le monde s’empresse de venir à vos obsèques, d’afficher des airs tristes et de distribuer, comme des guichets automatiques, des sommes rondelettes de façon ostentatoire pour faire le buzz, se faire remarquer. Les funérailles, qui devaient être des moments de communion, de prières et de recueillement, se transforment en une véritable ripaille.
Ce qui est écœurant, c’est que la famille, parfois sous la contrainte, organise des cérémonies grandioses, égorge des bœufs, moutons, poulets au grand bonheur des piques-assiettes. Et comme si cela ne suffisait pas, certains se paient le luxe d’organiser une cérémonie de troisième, huitième et même quarantième jour. Malgré la conjoncture, beaucoup d’argent est dilapidé lors de ces évènements malheureux. Certaines obsèques peuvent coûter plusieurs millions de francs à la famille du défunt qui n’hésite pas parfois à dépenser des fortunes. Et aussi à s’endetter lourdement pour offrir à leurs proches des obsèques grandioses. Ceux qui viennent présenter leurs condoléances n’ont pas le temps de s’ennuyer. Ils oublient même la notion de funérailles et cela se voit par le comportement de certains, qui se croiraient à la foire de Leipzig. Un étranger se serait cru à un mariage ou à un meeting politique. Du côté des dames, il n’y a que bruits. Bien vêtues et chamarrées d’or, elles bavardent véhémentement, rient à gorges déployées, se donnent des tapes.
Chez les hommes, l’ambiance est presque la même. On discute sans gêne, pouffe comme des gamins ivres. Pas une fois on ne se rappelle du défunt. C’est à peine si on formule des prières en sa faveur. L’Homme manque vraiment d’égard et n’a aucun respect pour les morts. Au lieu de prier pour le repos de leurs âmes, il trouve un malin plaisir à faire bombance. Les temps ont changé ; on assiste à une banalisation des mœurs. Au lieu de se recueillir, on festoie, débite des banalités au lieu de réciter des prières, dépense sans compter. Sauf la musique qui aurait, sans doute, incité ces individus à danser le yela ou le mbalakh, tout est permis. Au rythme où vont les choses dans notre monde exhibitionniste, le marché des funérailles a de beaux jours devant lui. En effet, la mort est devenue un fonds de commerce très rentable pour certaines familles sans scrupule. Si enterrer un parent peut parfois coûter gros, l’argent peut-il remplacer la douleur de perdre un proche ? Respectons nos morts. sambaoumar.fall@lesoleil.sn