Alors que les rédactions étrangères renforcent leur présence et influencent les récits sur le continent, les médias africains peinent encore à imposer leur propre voix. De Radio France internationale à Al Jazeera, en passant par France 24, Russia Today ou Trt, l’influence internationale s’étend, façonnant les perceptions de l’Afrique.
La présence des médias étrangers en Afrique est de plus en plus marquée. En sus des supports traditionnels, de nouvelles plateformes numériques investissent l’espace médiatique des pays du continent. À titre d’exemple, en début de mois d’octobre, France Médias monde a inauguré une nouvelle plateforme médiatique appelée Zoa, « 100 % numérique » qui vient s’ajouter aux rédactions de Radio France internationale (Rfi) et de France 24. Un « phénomène pas nouveau, mais qui s’accentue », selon Mor Amar, rédacteur en chef du quotidien EnQuête. Le journaliste qui a récemment consacré un article au sujet, souligne que « L’Afrique a toujours été une terre convoitée par les médias internationaux, mais la dynamique s’est accentuée ces dernières années avec la montée du numérique ». « Autrefois, les grands médias internationaux se contentaient d’un correspondant dans les capitales africaines. Aujourd’hui, certains disposent de véritables rédactions locales, avec plusieurs journalistes nationaux. On ne parle plus d’un correspondant isolé, mais parfois de trois ou quatre journalistes dédiés à un seul pays », note M. Amar. C’est ainsi que des chaînes comme « Russia Today (Rt), Radio Chine internationale, Al Jazeera, Trt, au-delà de Radio France internationale (Rfi) et France 24, filiales du Groupe France Médias Monde, multiplient les implantations ».
Selon Birame Faye, coordonnateur régional Médias de l’Institut Panos en Afrique de l’Ouest (Ipao), cette logique d’implantation « autrefois réservé aux puissances coloniales qui détenaient le monopole de l’information dans leur pré-carré » est aujourd’hui partagée. « Les Anglais, les Chinois, les Russes, les Turcs, les Marocains, tout le monde est là », fait savoir. Il s’agit, en fait, d’une « ruée » qui, au-delà de l’information, traduit « une guerre d’influence assumée », dit-il.
Il relève que ces médias étrangers, souvent adossés à des États puissants, investissent dans la production de contenus favorables à leurs intérêts, faisant du continent, riche en ressources naturelles et en enjeux stratégiques « un terrain d’affrontement symbolique ».
Les médias africains, les grands absents
Face à cette prolifération des supports médiatiques étrangers, Mor Amar déplore l’absence des médias africains. Pour lui, les médias en Afrique sont les grands absents dans cette bataille des récits qui se jouent. En effet, la mission première que devraient assumer les médias africains, selon lui, est de « donner la parole aux Africains pour exprimer leur voix sur les grandes thématiques qui nous concernent ». Malheureusement, constate-t-il, ce sont encore les rédactions étrangères (françaises, turques, russes, chinoises ou arabes) qui se chargent de raconter le continent.
Dans la même perspective, Birame Faye constate, pour le regretter aussi, la faiblesse des médias africains. Selon lui, celle-ci tient non pas à un manque d’argent, mais à une absence d’ambition et de vision stratégique.
M. Faye se remémore de certaines initiatives panafricaines qui, malgré des débuts prometteurs, se sont rapidement essoufflées après le départ de leurs parrains politiques. « On a vu dans le passé des projets comme Panapress ou Africa 24, qui avaient suscité beaucoup d’espoir à leur lancement. Mais ces expériences n’ont pas réussi à s’imposer durablement, faute de soutien constant », rappelle-t-il. Il cite également l’exemple d’Africa Numéro Un au Gabon, autre projet emblématique soutenu à l’époque par le président Omar Bongo.
Renforcer ces acquis
Pourtant, à en croire M. Faye, les gouvernements africains portent une part de responsabilité dans cette situation. « Nos États n’ont pas de véritable politique d’information et de communication au-delà de leurs frontières… », souligne-t-il. Pour inverser la tendance, Mor Amar plaide pour un engagement fort des gouvernements africains.
Toutefois, le cas du Sénégal, selon lui, reste encourageant. « Malgré les limites, nous avons une presse relativement libre, comparée à ce qui se fait dans la sous-région. Il faut renforcer ces acquis, non pas les affaiblir », a-t-il dit.
Pour sa part, Birame Faye milite pour un investissement conséquent dans le développement de l’écosystème médiatique africain. Selon lui, l’enjeu est d’autant plus crucial à l’ère du numérique, marquée par la prolifération de la désinformation, devenue une véritable menace pour les pays du continent.
Par Souleymane WANE et Ndeye Seyni SAMB (Photo)

