Toutes les cartes du monde représentent l’Afrique d’un point de vue eurocentriste avec l’Europe en haut et l’Afrique en bas. Or, « la terre est une sphère qui flotte dans l’univers. Et dans l’univers, il n’y a pas de haut et de bas », disait l’homme d’affaires congolais (Rdc) et grand collectionneur d’arts, initiateur du mouvement « Congo Debout » et décédé à l’âge de 48 ans, Sindika Dokolo.
À son avis, cette représentation n’est point « anodine ». L’Europe est ainsi représentée avec des superficies proportionnelles à celle de l’Afrique. Alors que la réalité est tout autre. « L’Afrique peut abriter la Chine, l’Inde, l’Amérique du Nord, l’entièreté de l’Europe de l’Est plus quelques autres pays. Lorsqu’on nous a parlé de l’Afrique, on nous a menti et lorsque nous parlons de l’Afrique, nous Africains et Afro-descendants, nous nous mentons à nous-mêmes », disait-il, appelant les Noirs à voir l’Afrique avec « dignité et objectivité ».
Dignité à retrouver et redonner à l’Afrique sa vraie taille sur une carte. C’est le but recherché par l’Union africaine, des Africains et tant d’autres hommes et femmes honnêtes qui dénoncent avec force la représentation de l’Afrique sur le planisphère, notamment la projection de Mercator, du nom du cartographe flamand, Gerardus Mercator, qu’on utilise tous. Objectif : rétablir la vérité sur la vraie taille de l’Afrique. Car, sur la carte, la taille de l’Afrique est minuscule comparée à celle de la Russie par exemple. Pourtant, la taille réelle du continent est plus grande. Une grande campagne dénommée « Correct the Map » est alors lancée. Les associations comme Africa No Filter, Speak Up Africa, dénoncent la projection de Mercator datant du XVIe siècle qui minimise « intentionnellement » la vraie taille de l’Afrique.
« La réalité, c’est que l’Afrique est 14 fois plus grande que le Groenland qui, sur le Mercator, a presque la même superficie que le continent », affirment-elles. Selon Moky Makura, directrice exécutive d’Africa No Filter sur Youtube, « la taille actuelle de l’Afrique est la plus grande campagne de désinformation au monde ». À l’en croire, « l’Afrique a 6 fuseaux horaires différents. On peut y faire entrer 30 pays dont le Japon, l’Inde, la Chine, presque toute l’Europe, la France, l’Allemagne, l’Italie. Et pourtant, quand on regarde, elle est vraiment sous-représentée ». Quant à Fara Ndiaye, co-fondateur de Speak Up Africa, elle pense que « le fait de minimiser et de montrer un continent plus petit, affaiblit considérablement son importance et son pouvoir sur la scène mondiale ». Le 14 août dernier, l’Union africaine s’est jointe à l’appel pour, dit-elle, « remplacer la carte obsolète Mercator du XVIe siècle, qui déforme la taille réelle de l’Afrique, par la projection Equal Earth, une carte qui montre le continent tel qu’il est réellement : vaste, puissant et central dans le monde ».
Même son de cloche chez Liz Gomis, journaliste, réalisatrice, fondatrice de la « Maison des mondes africains » à Paris. Pour elle, avoir une carte avec les réelles proportions changerait beaucoup de choses. D’abord, cela prouve que « l’Afrique n’est pas à la marge ». Ensuite, c’est une « affaire de fierté ». Puis, cela permettrait de « redéfinir les termes de l’échange ». Car, souligne Liz, « plus on est grand, plus on est considéré ». En réalité, cette projection de Mercator ne repose que sur des préjugés. Elle a été faite à une époque (XVIe siècle) où l’Europe, en contact avec le reste du monde, notamment l’Afrique, avait besoin d’asseoir sa domination sur tous les plans. Les préjugés occidentaux se manifestent par une idéologie de la supériorité blanche avec à la base un racisme condescendant.
Serait-il alors pensable de faire une carte avec l’Afrique comme centre du monde ? Que nenni ! Edouard Philippe, ancien Premier ministre français, ne reconnaît-il pas que « quand on a dessiné les cartes essentielles, on a placé l’Europe au centre, puisque ce sont des cartographes européens et que la taille relative de l’Europe par rapport aux autres continents est supérieure à la réalité, à la superficie réelle du continent européen ». Pourtant, c’est cette carte qui fut alors imposée à tous. La carte étant mensongère, il y a donc lieu, comme l’histoire, de décoloniser la géographie, les deux étant intrinsèquement liés. Le hic, c’est comment le faire. L’Occident, avec sa mentalité dominante, l’accepterait-il ?
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