Le vert du maillot du Président Faye a fait parler lors du Sénégal-Mauritanie (4-0), match qui a validé la qualification des Lions pour le Mondial 2026. « Pour une rencontre à domicile, comment Diomaye a-t-il osé se parer de vert pour venir soutenir les Lions ? », s’interrogent, non sans ironie, certains qui ne redoutent pourtant pas les effets de l’article 80. « Le Sénégal joue en blanc à domicile, et non en vert », poursuivent les arbitres non-désignés du port vestimentaire présidentiel.
L’histoire du maillot blanc du Sénégal est tout aussi savoureuse, et fait partie de ces épisodes où la réalité et la légende se confondent. Il y a quarante ans, le Sénégal du football rêvait d’un retour en Coupe d’Afrique des nations après une longue traversée du désert depuis 1968, à Asmara, en Éthiopie. Battus à l’aller (1-0), les Lions devaient impérativement dominer le Zimbabwe par deux buts d’écart, au moins, pour se qualifier à la Can 1986 en Égypte. Les dirigeants sénégalais de l’époque savaient qu’ils pouvaient écrire une page d’histoire.
Le président de la Fédération, Abdoulaye Fofana, le sélectionneur Pape Diop et son adjoint Yérim Diagne formaient un triumvirat digne du premier de la Rome antique avec Jules César, Crassus et Pompée, une alliance formelle destinée à marquer l’histoire, bien que les luttes internes fussent remplacées par les défis du ballon rond. Mais plus de deux millénaires plus tard, franchir le Rubicon n’a plus rien de subversif. D’autant plus que chaque homme a le droit de décider de son propre destin (Every man got a right to decide his own destiny), chantait Bob Marley dans Zimbabwe.
Le triumvirat met alors le paquet pour le match retour prévu le 1er septembre 1985 au stade Demba Diop. Jules François Bocandé, fer de lance de l’attaque sénégalaise, est rappelé pour sauver la patrie. L’attaquant du Fc Metz, déjà en grande forme, terminera cette saison meilleur buteur du championnat de France. Thierno Youm éblouit la Beaujoire avec sa vitesse légendaire et sa technique sobre, bien loin du « voyez-moi » d’une rombière illuminée par les feux d’un kaléidoscope. Le métronome Oumar Gueye Sène rejoint les troupes pour y trôner tel la Grande Muraille dans l’empire du Milieu.
À ceux-là s’ajoute une défense solide menée par Roger Mendy, Mamadou Teuw, Racine Kane et Pape Fall, gardée par Cheikh Seck. Malgré cette équipe qui n’avait rien à envier aux grandes nations du continent, le trio Fofona-Diop-Diagne voulait mettre toutes les chances du côté du Sénégal. Et, dans ces moments-là, l’irrationnel devient parfois rationnel. La légende raconte qu’un marabout consulté aurait formulé un impératif catégorique, non pas d’ordre moral, à la manière de Kant, mais une exigence symbolique : « Les maillots du Sénégal doivent être blancs ». Une recommandation surprenante pour une équipe dont les couleurs nationales sont le vert, le jaune et le rouge.
Les deux dernières avaient d’ailleurs longtemps dominé les tenues des Lions. En remuant ciel et terre, la solution serait venue d’un Libano-Syrien, nommé Samy, propriétaire d’un magasin d’articles de sport. Il confectionna tard dans la nuit les maillots blancs. Mission accomplie. « Demain ne meurt jamais », dirait James Bond. Hasard ou coïncidence, les Lions remportent le match (3-0) grâce à un triplé de Jules François Bocandé, alors à l’orée de son âge d’or. Dix-huit ans après Asmara, le Sénégal retrouvait enfin la Coupe d’Afrique, la fameuse « Caire 86 ». Durant cette compétition, la superstition du maillot blanc se renforça : malgré une victoire historique contre l’Égypte (0-1) avec le maillot vert, les Lions retrouvèrent le blanc, pour la première fois en compétition, pour battre le Mozambique (2-0).
Mais l’absence de la couleur dite « immaculée » leur fut fatale par la suite (élimination après la défaite 1-0, but d’Abdoulaye Ben Badi Traoré). Ironie du sort, ce jour-là, le Sénégal avait remis le vert, tandis que la Côte d’Ivoire, tout en blanc, arborait des mouchoirs en tissu de la même couleur noués à la gorge lors du cérémonial d’avant-match. Entre mythe, foi et football, l’histoire du maillot blanc des Lions s’est ainsi inscrite dans la mémoire collective sénégalaise. Certes, mais l’histoire retient aussi que pour son seul titre lors de la Can 2021, le Sénégal était en vert, celui arboré par le président Faye. Peut-être que les symboles, eux-aussi, ont leur revanche.
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