59e minute sur la pelouse synthétique du Juba Football stadium, vendredi dernier, en match de qualification pour la Coupe du monde que le Canada, le Mexique et les Usa accueillent en 2026. Alors que le match ronronne avec des « Lions » enfilant des buts comme les perles d’un chapelet, -la mi-temps fut sifflée pile au début de la prière collective du Zhur-, le patrimoine national Sadio Mané travaille dans la surface adverse et se fait sécher par un Sud-Soudanais se prenant sans doute pour John Garang du temps de sa splendeur guerrière. Sifflet de l’homme en noir dont la direction de l’index lève toute équivoque : penalty ! Conciliabules.
L’homme de Bambali, de Deni Biram Ndao, de Metz, de Salzbourg, de Liverpool, de Munich, aujourd’hui notable à Riyad, s’empare du cuir. C’est bien lui qui avait exécuté la sentence décisive pour offrir au Sénégal sa première Coupe d’Afrique des nations, en 2021, en cette inoubliable soirée au stade d’Olémbé. Il serait bien dans son rôle, Sadio Mané, en faisant comme toute star : se saisir du cuir, reculer quelques pas, placer une demi-volée hors de portée du gardien fissa fissa ; pourquoi pas une improbable Panenka (laisser le goal-keeper partir et mettre le ballon exactement là où il trépignait), le comble de l’ignominie quand on veut humilier un gardien de but. Sadio Mané ne fit rien de tout cela. Grand seigneur, il ne fit rien de tout cela. Comme dans un débriefing d’état-major, alors que les ambitions montaient, il parla à son monde…
C’était avant le match d’hier, au stade Abdoulaye Wade de Diamniadio, quand les « Lions » ont passé en revue les « Mourabitounes », et composté leur billet pour la prochaine Coupe du monde de football prévue aux Amériques. La promenade de santé de l’équipe du sélectionneur Pape Thiaw contre la Mauritanie, valant qualification à la Coupe du monde. Il y a des lieux communs de vie comme ça, on se dit qu’ils sont éphémères comme fétus de paille dans des tranches de vie, des battements d’ailes de papillon, une gloire conjoncturelle, une injustice mal réparée, un banni qu’on conduit à la potence numérique, une injure d’automobiliste, un regard fugace, mais très souvent, il y a des gestes inoubliables qui marquent. Il est vrai que les tireurs ne manquent pas chez les « Lions ». Il y a des jeunes qui montrent des crocs, ainsi de Pape Matar Sarr, petit prince du Tottenham Hotspur Stadium, qui était dans son bon droit.
Il y a aussi les autres, tireurs par excellence, surtout Ismaïla Sarr, et bien sûr Ilimane Ndiaye, jeune cadre au pied juste. Mais non, quand Sadio Mané prend le ballon, on pense qu’il entend faire ce qu’on connaît de lui, marquer, faire trembler les filets par un coup de botte bien senti comme lui seul en a le secret. Il a une autre idée, valoriser un autre. Ce sera un autre. Dans un geste éminemment politique, il chuchote à son monde et fit comprendre que ce serait Nicolas Jackson, l’avant-centre, qui devrait y aller. Sadio Mané n’est pas le capitaine de cette équipe, mais il en est le leader offensif. Face à l’adversaire, une agrégation de défenseurs se crée autour de lui, une nuée d’abeilles vengeresses fourmille autour de ses jambes virevoltantes, ce qui fait oublier les autres. Justement, il faut penser à autrui.
Quand l’arbitre décide d’accorder un penalty au Sénégal lors de ce fameux match, il fait un geste noble. Il sait que l’attaquant de pointe doit marquer pour se sublimer ; ce n’est pas du tout neutre, lui-même, Sadio Mané, est passé par le Bayern de Munich, mais au-delà des souvenirs bavarois, il a pleine conscience que l’avenir de l’équipe, c’est aussi un buteur en confiance. Alors, il lui donne le cuir en lui chuchotant des mots. Nicolas Jackson s’élance et transforme l’essai. Le premier acte de nos ambitions à la Coupe du monde a été posé par ce geste. De la générosité. Du leadership, faire briller les autres…
samboudian.kamara@lesoleil.sn