Il se passe au Sénégal un temps politique très intéressant. Pas que les époques précédentes manquaient d’intérêt, mais pour la première fois on a la vibration de vivre des moments rappelant du sens.
Depuis que le Premier ministre Ousmane Sonko a annoncé qu’il « parlera » le 08 novembre, beaucoup ont le sentiment que c’est une manière de reprendre la main ou de rappeler leur fait à tous ceux qui seraient tentés de croire que le pouvoir se partage. Il faut que les Sénégalais sachent ce qu’ils veulent ou alors ils découvrent comme, de manière subliminale, qu’ils devaient faire face à leur propre réalité. Le « Projet », il n’est pas simple, il remet en cause les paradigmes connus jusqu’ici : les référentiels, les alliances, les comportements… Les électeurs triomphants de 2024 sont les mêmes aujourd’hui qui jubilent ou fulminent à propos de la conjoncture, du pognon « facile » qui se fait rare, de cette remise en cause des alliés historiques, du slogan lancé par le chef de la majorité au pouvoir faisant entendre qu’il faut « se serrer la ceinture ».
Il semble que les Sénégalais revivent à rebrousse-mémoire ce que leur disait Ousmane Sonko, quand tous les gens avertis en mars 2024 prédisaient que le temps du Pastef était là. La comparaison avec le président du Conseil, Mamadou Dia, pour évoquer « la rupture » avec l’ordre ancien, parait tellement évidente qu’il faut s’en méfier. Inter Il fut un temps où les choses furent belles. On a théorisé que la Démocratie était la solution. On chantait. D’ailleurs, beaucoup de vocations naquirent de cette conviction que les femmes et les hommes sont foncièrement bons, qu’ils sont justes et honnêtes. Ils étaient fermement formatés dans l’idée que la majorité est juste, qu’elle n’a jamais tort, celle-là qui a posté l’idéal d’un pays où forcément la voix de la majorité a raison. Tu as la voix du plus grand nombre, et donc tu as raison.
Mais une démocratie, ce sont des comportements, ce sont des valeurs, l’état d’esprit que les urnes sont la chose validant ; ce sont surtout des citoyens qui choisissent. Mais a-t-on idée d’un citoyen mal éduqué, au sens du fait qu’il ne se connait pas, qu’il ne comprend pas la trajectoire historique qui autorise la liberté qu’il s’autorise ? Un de nos principaux héritages, un système tel que pensé par les pères fondateurs, est qu’il y a bien un modèle sénégalais. Avec l’alternance de 2024, ça n’a pas changé. Les pionniers de la démocratie sénégalaise, qu’ils fussent affidés aux Français (assurément cela pouvait se comprendre en raison du contexte colonial), ou qu’ils en aient pris la pleine mesure pour mieux se l’approprier, est en tout cas là et on ne peut pas dire que les 54 % des électeurs ayant plébiscité. Ce système dit que le Pastef est au pouvoir. Il y a une nouvelle dialectique menée par une nouvelle majorité politique que les gens doivent entendre. Ce n’est pas une affaire de génération, mais cela a la force de la réalité.
En tout cas, l’idée de ce pays, ce fut d’abord des consensus multiples. Celle d’un vivre-ensemble bâti sur le respect, la tolérance et la mesure. Les ambitions sont légitimes, mais peut-être à force de confondre la liberté avec la licence, comme le rappellent ceux qui restent de vertueux, il faut choisir entre la pluralité des opinions et la cacophonie. Le Premier ministre, chef de la majorité au Parlement, a annoncé à la fois des bilans, de nouvelles perspectives et une démarche qu’il dit nouvelle. Cela appelle des questions. Comment se comportera la majorité à la Place Soweto et de quels tons seront les murmures qui bruissent ? Un homme politique se joue régulièrement à sa popularité. Et jusqu’à preuve du contraire, Ousmane Sonko tient le gouvernail.
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